Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector, qui est mort. Tout le monde connaît cette phrase qui pourtant ne résume pas la tragédie de Racine. Pour Stéphane Braunschweig, qui met en scène et signe la scénographie d’Andromaque à l’Odéon, les vainqueurs comme les vaincus ne sortent pas indemnes d’une guerre qui a duré dix ans. « Ce n’est pas l’amour qui rend fou, c’est la guerre ». Il voit en Andromaque « une pièce post-traumatique, dont les héros marchent dans le sang, sur une crête, entre résilience et retour d’une violence sans frein ». Trop de sang a coulé. Pas encore séché il forme un grand ovale sur le plateau de l’Odéon. La scénographie se déploie en trois couleurs : le rouge du sang, le noir du deuil que portent encore les personnages dévastés par les horreurs qu’ils ont traversées, et le blanc, celui des chaises renversées au début et de la victoire finale d’Andromaque.

Selon les lois de la guerre c’est à Pyrrhus, le seul à ne pas porter le deuil en treillis et rangers aux pieds, fils d’Achille, connu pour sa violence et sa cruauté qu’a échu la veuve d’Hector, Andromaque. Il en est tombé amoureux, est prêt à l’épouser, à la faire reine et à élever, comme un futur roi, son fils Astyanax, que les Grecs, craignant qu’il ne lui vienne à l’idée un jour de venger son père, veulent mettre à mort. Alexandre Pallu interprète magnifiquement Pyrrhus, guerrier brutal prêt à tout pour obliger Andromaque à l’épouser quitte à ébranler son propre pouvoir.

Quant à Andromaque, elle n’est pas prête à épouser l’assassin de son mari et à oublier les siens, mais Pyrrhus ne lui laisse guère de choix. En Andromaque déchirée entre être fidèle à son mari mort ou sauver son fils, Bénédicte Cerruti est déchirante.

Oreste le fils d’Agamemnon, interprété avec finesse et désespoir par Pierric Plathier, est venu au nom des Grecs exiger la mort d’Astyanax, mais aussi, par un jeu de domino des alliances, essayer de récupérer Hermione, promise à Pyrrhus, et dont il est amoureux. Il échouera car Hermione (superbe Chloé Réjon) aime Pyrrhus. Humiliée par son rejet, elle se prend à espérer quand elle entend le refus d’Andromaque, puis se mue en froide vengeresse quand elle comprend que Pyrrhus va malgré tout épouser Andromaque. L’humiliée se transforme alors en dominatrice instrumentalisant l’amour d’Oreste pour exiger de lui qu’il tue Pyrrhus. Jean-Baptiste Anoumon, Jean-Philippe Vidal, Boutaïna El Fekkak et Clémentine Vignais, en confidents et amis, complètent ce quatuor de rêve.

A l’heure où la guerre s’est rapprochée de nous, où les femmes sont encore souvent des prises de guerre et où on parle d’enfants, victimes de sa violence ou objets de tractations politiques indécentes, Andromaque ne pouvait que nous émouvoir. Les alexandrins de Racine ont rarement résonné avec autant d’actualité, de puissance et de beauté que dans la bouche de ces quatre interprètes et la salle leur fait, à juste titre, un triomphe.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 22 décembre à l’Odéon-théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, 75006 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu – du 16 au 19 janvier au Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine, les 1er et 2 février au théâtre de Lorient, du 8 au 14 février à la Comédie de Genève


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