Andri, un jeune juif a été, croit-on, adopté par le maître d’école de la petite ville d’Andorra, pour le sauver de l’État voisin qui persécute les juifs. La population d’Andorra a trouvé cela héroïque, mais petit à petit, insidieusement, et plus ouvertement lorsque se profile une menace d’invasion par l’État voisin, les préjugés et une haine séculaire sans aucun fondement se déchaînent contre celui que les habitants se mettent à juger différent. Et même la révélation de la véritable identité d’Andri n’arrêtera pas la haine des Andorriens.
C’est une mise en lumière, à la fois drôle et bouleversante, des mécanismes sournois de la haine et de l’exclusion de l’autre, que met en scène la pièce écrite en 1965 par Max Frisch, écrivain suisse de langue allemande. On pense bien sûr à l’Allemagne nazie, où les pires horreurs ont pu être commises en s’appuyant sur la lâcheté des petites gens. Par peur, par jalousie, par frustration, par rejet de l’autre, qu’ils ont jugé différent, ils ont laissé faire des meurtres de masse. C’est un appel à la vigilance des générations futures que lançait Max Frisch, car le propos va au-delà du contexte de l’Allemagne nazie. Le juif d’Andorra pourrait être l’Arabe d’aujourd’hui. Andorra est une petite ville imaginaire, calme, propre, blanche et pourtant que de rancœurs et de haines couvent sous la cendre, qui ne demandent qu’un contexte favorable – ici la menace d’une invasion – pour exploser avec violence.
Fabian Chappuis réussit une mise en scène qui, tout en étant fidèle au texte, permet à la pièce de résonner encore aujourd’hui. Trois pans de murs mobiles qu’une jeune fille peint en blanc au début de la pièce deviennent place, intérieur de maison ou écran. Cela se présente un peu comme la reconstitution d’un fait divers où chacun joue son rôle. Aux scènes dans lesquelles les personnages de la pièce jouent le drame devant nous, succèdent des vidéos où ils apparaissent comme des témoins vieillis, racontant le drame des années après, dans le seul but de se dédouaner. Avec leurs visages d’aujourd’hui, ils sont encore plus accablants de mauvaise foi et de lâcheté. Ce dispositif est une grande réussite, accrochant le spectateur, le faisant passer de la révolte au rire, de la réflexion à l’émotion. Les acteurs sont tous excellents. On retient bien sûr Romain Dutheil en jeune homme qui souhaite seulement être comme tous les autres, avoir un métier et épouser Barbeline, la jeune fille qu’il aime (Elizabeth Ventura). Tous méritent d’être cités, qu’ils incarnent le médecin (Alban Aumard) ou le menuisier (Éric Wolfer) qui ne cachent même pas leur haine de celui qui a comme seul tort d’être juif, le soldat brutal et frustré (Hugo Malpeyre), l’aubergiste qui prétend ne rien vouloir savoir mais joue un rôle décisif dans la montée de la violence (Stéphanie Labbé) ou le prêtre empêtré dans une compassion qui n’arrête pas les assassins (Loïc Risser).
Le soir où j’y étais, les lycéens qui étaient dans la salle ont fait un triomphe à la pièce. Ils y ont bien vu un formidable appel à ne pas accepter en silence la montée du rejet des autres, ceux qui n’ont pas la même couleur, la même religion, la même culture, un rejet qui est un préambule à la haine. Courez-y et emmenez vos élèves.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Théâtre 13 / Seine
30 rue du Chevaleret, 75013 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 88 62 22
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