Jupiter profite de l’absence d’Amphitryon retenu à la guerre pour s’introduire, sous les traits du général thébain, dans le lit de son épouse Alcmène. Il charge Mercure de garder la porte en prenant les traits de Sosie, le serviteur d’Amphitryon. Mais voilà qu’arrive le vrai Sosie, chargé par son maître d’annoncer son retour. Mercure décide de se jouer de Sosie, lui affirme que c’est lui qui est Sosie et le roue de coups pour oser prétendre être Sosie. L’arrivée du véritable Amphitryon ne va pas éclaircir les choses. Les Dieux mentent, trompent les pauvres humains, se jouent d’eux et abusent de leur pouvoir.
Molière ne s’était pas arrêté à la fable mythologique et aux quiproquos, malentendus et autres rebondissements. C’est lui qui jouait le rôle de Sosie et quand Mercure frappe Sosie, lui vole son identité et l’empêche de parler on peut penser que Molière se peint lui-même en artiste qui n’ignore pas les limites de sa liberté, conscient d’être tributaire des commandes et de la faveur du Roi et de la Cour. Il sait aussi que c’est dans le rire qu’il peut conserver une marge de liberté. C’est souvent sur ce thème et celui du double que les metteurs en scène mettent l’accent.
Ce qui a intéressé le metteur en scène Guy Pierre Couleau, directeur du Centre dramatique national à Colmar, c’est bien sûr la question de l’identité, mais il va au-delà. Molière écrit sa pièce vingt ans après la mort de Galilée. Ils ne se sont pas rencontrés mais en démontrant que la terre tourne autour du soleil et non l’inverse, Galilée a remis en cause la place de l’homme et par voie de conséquence celle de Dieu dans l’univers. Pour Guy Pierre Couleau, Molière le rejoint en quelque sorte car il nous dit que les Dieux ne sont plus les détenteurs de la vérité puisqu’ils nous mentent. En référence à ce moment où les certitudes vacillent, c’est sur un beau ciel noir où se meuvent des sphères semblables à des astres que Mercure apparaît, pour demander à la Nuit, en robe de dentelle noire et boa de fourrure, de ralentir sa course pour permettre à Jupiter de passer avec Alcmène une longue nuit.
Toute la mise en scène frémit du désir frustré des hommes. La blonde Clémentine Verdier avec sa robe et ses escarpins qui mettent en valeur sa silhouette et ses jambes campe une Alcmène pleine de désir pour Amphitryon, mais lequel désire-t-elle ? Celui avec qui elle vient de passer la nuit et qui est en fait Jupiter (Nils Öhlund) ou son mari (François Rabette). Tous deux sont très bons le premier en Dieu triomphant et narquois, le second en mari cocu, jaloux et impuissant face à Jupiter. Kristof Langromme fait de Mercure un Dieu qui prend un plaisir énorme à tromper le pauvre Sosie, remarquablement interprété par Luc-Antoine Diquéro, qui tente en vain d’expliquer à Amphitryon que, tout comme lui, il est double et n’arrive plus à déterminer s’il est lui ou un autre ! Quand enfin les Dieux regagnent l’Olympe après que Jupiter eut éclairé Amphitryon et lui eut dit qu’Alcmène était toute à lui – mais enceinte d’Hercule le fils qu’il a engendré – ce n’est pas vers les cieux qu’ils s’envolent, mais dans le sol qu’ils s’enfoncent, comme s’ils étaient venus de l’enfer pour apporter le chaos sur terre. Guy Pierre Couleau et ses interprètes réussissent, tout en respectant sa dimension comique, à donner à ce qui eut pu n’être qu’une fable mythologique, une profondeur insoupçonnée.
Micheline Rousselet
Théâtre 71
3 place du 11 novembre, 92240 Malakoff
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 55 48 91 00
Tournée ensuite : du 17 au 28 janvier au Théâtre des Célestins à Lyon, le 22 mars au Théâtre Victor Hugo de Bagneux, le 10 et 11 mai au Bateau Feu à Dunkerque
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