« Amour » peut s’employer au féminin, en poésie en particulier, mais seulement au pluriel. Ici, nous avons affaire à une amour singulière…

Nous sommes à la veillée mortuaire d’une femme récemment décédée. On entend le brouhaha des conversations dans la salle d’à côté. D’un coup, surgit sur scène, un homme en costume noir, cravate noire, lunettes noires. Il est visiblement nerveux, ou énervé par les condoléances si conventionnelles qu’on lui adresse ce soir. Mais puisque nous sommes là, sans quatrième mur, comme une grande oreille prête à l’écouter, peut-être le consoler, il se met à nous parler de sa femme, de lui, de leur amour si exceptionnel.

Mais que cherche-t-il dans cet échange à sens unique ? Confidence ou confession ? Connivence ou absolution ? Et d’abord, est-il sincère dans son agitation ? Qu’est-ce que son récit cache, quel aveu, quel secret ? Le couple avait une entreprise florissante de location d’anciennes automobiles rénovées. Veut-il nous vendre une histoire maquillée comme une voiture volée ? C’est un commercial, il est doué pour nous mettre dans sa poche, nous attendrir et nous rendre complice du rejet d’une société trop policée…

Son amour si amère, de quelle profonde amertume s’est-il nourri ?

Le personnage, aussi dérangeant qu’empathique, déroule la pelote de ces questions et la fin de la pièce livrera l’élément de leurs solutions. Cependant, nous resterons seuls juges et devrons, pour tenter de bien juger, repenser toute l’histoire. Ce théâtre nous implique, à notre corps défendant.

La pièce de Neil LaBute, auteur américain, contemporain et controversé, nous provoque et surtout nous convoque en un tribunal social et psychanalytique. La traduction de Dominique Piat est audacieuse dès le titre puisque l’anglais Wrecks signifie « épaves » – cet amour amère serait-il un crash-test ? Quant au jeu de Jean-Pierre Bouvier, il est tout simplement remarquable, méritant mille fois son Prix du Meilleur Comédien 2021 au Festival Off d’Avignon. Quelle présence sur scène ! Quelle incarnation physique et nouée de la parole de ce veuf agacé, tirant nerveusement sur des cigarettes dont il sait qu’elles pourraient le tuer !

Jean-Pierre Haddad

Jusqu’à la fin décembre, au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris. Infos et réservations 01 48 74 76 99 ou theatrelabruyere.com – Du jeudi au samedi à 18h45.


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