Une nuit, sur le pont d’un paquebot qui vogue vers l’Europe, un homme se confie fiévreusement à un autre passager. Médecin, il revient de Malaisie où il a travaillé pendant cinq ans dans un village isolé. Un jour une mystérieuse Européenne est venue lui demander son aide. Face à son attitude altière et impérieuse, il s’est laissé emporter par un mélange de haine et de désir. Il voudrait être supplié, elle n’est pas femme à le faire. Oubliant ses devoirs de médecin, il se laisse emporter par l’amok, cette folie dont parlent les Malais.
Alexis Moncorgé a adapté avec une grande réussite cette nouvelle de Stefan Zweig dont on connaît le génie pour, en quelques pages, créer un climat, une histoire et des personnages qui envoûtent le lecteur. On y retrouve les thèmes chers à l’auteur : des destins tragiques, des secrets lourds à porter, des conventions sociales qui musèlent les élans de l’individu.
Sur scène l’obscurité, à terre des caisses, dans l’ombre un passager qui allume une cigarette et boit. On est sur le paquebot. La mise en scène de Caroline Darnay et le jeu magnifique des lumières, orchestré par Denis Koransky, nous entraînent du paquebot à la touffeur des forêts malaises, du Bal du Gouverneur aux bas-fonds de la ville chinoise. Un simple rideau transparent en fond de scène et un drap tâché par terre suffisent à nous plonger dans la tragédie malaise. Un arrière fond de musique de bastringue ou de valses viennoises, un rire éclatant de femme et l’on s’enfonce dans la folie du médecin.
Alexis Moncorgé est seul en scène. Son visage sculpté par la lumière émerge de la nuit du paquebot, de l’ombre des forêts ou des ruelles de la ville chinoise. On sent la chaleur qui l’accable. Il a l’exaspération de son héros, écrasé de solitude, de frustrations sociales et de désirs sexuels inassouvis. Il est ivre de colère, tournoie avec la violence d’un fou, frappe, rampe, saute, écrase un moustique sur son cou. Il a aussi l’exaltation de l’homme qui veut retrouver son honneur et on entend son souffle dans cette course vers la mort. Il est aussi la Lady, le regard dur et froid, qui lui parle avec hauteur ou le boy qui s’affole. Il est extraordinaire.
Le spectateur n’est pas toujours convaincu par une adaptation pour la scène d’un texte destiné à être lu, mais quand le texte est fidèlement restitué, que le climat de la nouvelle devient palpable et qu’elle est jouée admirablement, il y a une vraie valeur ajoutée. C’est un grand moment de théâtre et son souvenir nous accompagnera longtemps.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 17h30
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 50 60 67
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