Faire une pause, oui mais pour s’interroger ! Pause du jeu ? Pause de théâtre ? Pas sûr… Surtout pas de pause de la pensée. Mise en mouvement d’une réflexion collective et participative voire sportive sous la conduite d’un mono de kayak nous initiant à « la descente de spectacle » comme on descend une rivière torrentueuse. Julien Fournet, concepteur et auteur de cette conférence-spectacle nous invite en effet à « une plongée rocambolesque dans cette incroyable situation qu’est le spectacle ». Doit-on s’étonner ? Nullement, car c’est bien l’esprit de l’Amicale, cette plateforme coopérative de production d’arts vivants. Souvenons-nous d’Elles vivent d’Antoine Defoort qui cet hiver au 104, proposait une refonte radicale de la politique sur le modèle d’une start-up écolo ou encore de la conférence-spectacle de Sofia Teillet intitulée De la Sexualité des orchidées qui, en plus d’être l’occasion de découvertes savantes sur ces fleurs s’avérait être un magnifique exercice d’altérité.

Mais revenons à cette « pause » qui n’est pas de tout repos. Une descente en kayak ça remue. Sur scène, le mono volontaire Jean Le Peltier avec son physique de basketteur brise rapidement le quatrième mur et embarque la salle dans l’aventure. Elle défilera par exemple toute entière sur scène pour recevoir un breuvage réconfortant à base de thym. Mais comment discourir sur l’immersion dans un spectacle au moyen d’un spectacle ? Le recours à la métaphore kayakesque se révèle fort astucieux pour peu qu’on s’emploie à filer la métaphore. La descente se fait en suivant une carte qui s’affiche sur écran et que chaque spectateur possède sur papier pour l’avoir trouvée sur son siège. La mise à l’eau fournira un « paquet de sensations ». Une fois embarqués dans le frêle esquif, on subit une « modification de la perception du monde », ce qui ne manque pas de produire des « changements de comportements ». Puis vient la « chute des expériences » mais heureusement l’embarcation se stabilise dans le « lac de la pensée » où les Stoïciens sont d’un grand secours ! Il y aura encore « la forêt de la culture » pleine de lianes et enfin la plage où la pause agitée devient vraiment repos. Mais un tel spectacle ne peut s’achever comme un autre sans faire trace et don en retour. Le public sera donc invité à noter sur un bandeau de papier le nom du spectacle du festival qui l’a le plus marqué. Il pourra aussi façonner dans une boule de pâte à modeler jaune la forme d’un objet évoquant ce spectacle. Le papier sera laissé sur le plateau en bois qui se trouvait à chaque place en entrant et l’objet modelé sera religieusement déposé en bord de scène ! Pour ma part, Ami.e.s il faut faire une pause m’avait tellement installé dans le présent de sa propre « plongée en spectacle » que je n’ai pu noter que son nom et façonner approximativement un kayak – mot palindrome !

Au final, le public devenu un collectif dans l’expérience-spectacle aura vécu un moment unique et appris que toute situation de spectacle a besoin de lui non pas seulement comme une collection de corps posés sur des fauteuils avec si possible le moins de trous entre chacun, mais comme le destinataire d’un message qui étant adressé serait vide de sens sans lui ; comme celui qui en percevant et recevant ce qui se passe sur scène le fait accéder à la dimension symbolique de toute relation intersubjective : la reconnaissance. Le public valide le spectacle qu’il soit bon ou mauvais. Ce n’est que parce que le théâtre est donné « en spectacle » et reçu par un public qu’il est spectacle ; écouté, regardé et inscrit comme chose se donnant à voir et pouvant par là-même exister comme produit de culture, comme référence et mémoire collectives.

Dans le fond, Ami.e.s il faut faire une pause s’adresse éminemment au corps enseignant… et à son esprit ! Car les enseignant.e.s en le sachant ou non, œuvrent sans cesse à l’endroit précis du culturel non pas du fait de la valeur des contenus (qu’on souhaite de qualité) mais dans la mesure exacte où iels sont des passeurs, où iels transmettent des contenus à des générations nouvelles et ce, en pleine conscience ; donc avec la possibilité de s‘interroger sur les contenus certes, mais aussi sur les formes ou les finalités de la transmission.

On voit que cette surprenante et joyeuse « pause » est peut-être récréative mais d’une récréation qui nous réoxygène, une création qui re-dit très utilement l’essentiel de tout théâtre de vie !

Jean-Pierre Haddad

Avignon off. Théâtre du Train Bleu… du 07 au 26 juillet. En tournée du 27 au 29 septembre 2022 : Théâtre Universitaire de Nantes ; du 10 au 12 novembre 2022 : Le Maillon – Strasbourg.


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