Guillaume Barbot a adapté et met en scène l’autobiographie fictive romancée Alabama Song de Gilles Leroy qui raconte la vie de Zelda Seyre épouse de Francis Scott Fitzgerald, un des plus célèbres romanciers du XXème siècle. La biographie de Nancy Milford parue en 1970 avait déjà fait de Zelda non pas une femme schizophrène mais une figure féministe victime d’un mari alcoolique, jaloux, autoritaire et d’une société patriarcale.
La pièce s’ouvre sur un décor de plancher circulaire incliné au centre duquel jouent et improvisent les trois musiciens de jazz (Thibault Perriard à la batterie et guitare, Louis Caratini au piano et trombone, Pierre-Marie Braye-Weppe au violon) des standards des années 20. Ils sont aussi les voix de Scott Fitzgerald, des amants de Zelda et des psychiatres. Le plancher, superbe idée du scénographe Benjamin Lebreton, est à la fois piste de danse, scène de théâtre, chambre d’hôpital et rouleau d’écriture de l’histoire. Il est aussi le reflet de la descente vertigineuse aux enfers de Zelda (remarquable Lola Naymark) qui apparaît prostrée dans sa chambre d’HP en train d’écrire sur le plancher. Puis, accompagnée par la musique, elle nous entraîne dans un rythme haletant dans les différents moments de sa vie. Jeune fille de juge en Alabama, elle mène une vie libre : elle danse, boit, fume, séduit et aspire à quitter ce milieu conservateur et étouffant. Salamandre comme elle se définit, elle brûle d’envie de liberté. Au bal, elle a le coup de foudre pour Francis Scott Fitzgerald qu’elle épousera et qu’elle suivra à New York. Ils deviendront le premier couple mythique de l’époque. Mais cette liberté n’est qu’apparente. Zelda n’est pas la muse de son mari comme il se plaît à le faire croire mais sa prisonnière. Il lui pille ses écrits, l’enferme pour lui éviter de voir des amants et la fera interner. Lola Naymark alterne avec une belle intensité les périodes d’exaltation, de colère, de révolte et de souffrance. Figure féministe d’une extrême modernité, elle dénonce l’exploitation sans vergogne du génie de leur femme par des maris ou amants qui les font passer pour folles ou les rendent folles dès que leur talent pourrait leur faire de l’ombre. Ne retrouve-t-on pas cette même relation entre Camille Claudel et Auguste Rodin.
C’est un spectacle complet dans lequel la musique et la parole s’entremêlent notamment dans cette superbe scène où l’écriture de Zelda se transforme en torrent de mots rythmés par la musique l’entraînant dans une chute inéluctable. La salamandre qui voulait traverser le feu de la vie sans se brûler mourra dans l’incendie de l’asile où elle est internée. Magnifique dernière image (bravo aux lumières de Nicolas Faucheux assisté d’Aurore Beck) : le rouge dans lequel apparaît le visage de Zelda se détachant sur fond noir dit à la fois la souffrance dans les flammes et toute la rage et la colère de Zelda qui n’était ni folle ni sorcière.
Un très beau spectacle qui résonne avec l’actualité.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 16 janvier du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30 – Théâtre de la Tempête, Cartoucherie route du Champ-de-Manoeuvre, 7502 Paris- Réservation : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr
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