La situation kafkaïenne d’un bébé né d’une GPA aux États-Unis, où elle est autorisée, et que ses pères homosexuels italiens ne sont pas autorisés à reconnaître alors même qu’il est arrivé tout à fait légalement sur le sol italien, des mères qui n’arrivent pas à protéger leur enfant de l’inceste de leur père car la justice suit aveuglément la parole d’un expert, une avocate qui se bat contre le concept de devoir conjugal, ce sont quelques unes des situations que l’on suit dans Affaires familiales.

Comme à son habitude, Émilie Rousset utilise des enquêtes documentaires pour construire cette pièce. Elle a rencontré des avocat.es, des juges, des associations et des justiciables aux prises avec les procédures et les juridictions des affaires familiales. Ces sujets, la filiation, les combats LGBT, les soustractions d’enfants, l’inceste, sont considérés comme mineurs, n’intéressent pas les avocats de renom et le plus souvent ces affaires ne se jugent pas en grande salle d’audience mais dans le bureau du JAF (juge des affaires familiales). Pourtant des avocat.es et des juges s’emparent de ces sujets, où se croisent l’intime et le juridique, pour tenter de faire évoluer la justice et la loi elle-même quand elle n’est plus en phase avec les évolutions de la société.

De ces entretiens, Émilie Rousset aidée par Sarah Maeght, a fait un montage en neuf chapitres. Elles ne se sont pas cantonnées à la France, elles ont élargi leur vision à d’autres pays d’Europe, l’Italie, le Portugal, la Catalogne.

Entre les deux rangées du public installé en bifrontal, une sorte de grand rouleau de papier va d’un mur à l’autre, renvoyant peut-être à celui sur lequel s’écrivent lois et décisions de justice. Sur ses bords sont projetés des images comme un écho des interviewés. On voit rarement leur visage mais des éléments de décor et surtout les mouvements de leurs mains. Ce sont les interprètes (Saadia Bentaïeb, Antonia Buresi, Teresa Coutinho, Ruggero Franceschini,Emmanuelle Lafon, Núria Lloansi, et Manuel Vallade) qui portent la voix de ces avocates (les femmes sont et de loin les plus nombreuses sur ces affaires), de ces juges, des justiciables et aussi celle d’Émilie Rousset qui les interroge. Ils et elles confrontent les récits intimes et la dureté de la loi, souvent en retard sur la reconnaissance de l’évolution de la société et les positions de juges qui peuvent avoir une vision plus ou moins traditionnelle de la famille.

Même si l’ensemble est un peu long parfois inutilement (pourquoi avoir gardé en italien, en portugais ou en catalan les interventions des avocates ou des justiciables de ces pays ce qui impose de les traduire alors que ceux et celles qui les interprètent parlent aussi le français) et le dispositif scénique un peu lassant, les propos restent passionnants. C’est parfois grâce à des années de procédure, en allant jusqu’à la Cour de Justice européenne, que les avocat.es font bouger les lignes, comme lorsqu’il a fallu faire reconnaître que lorsque le code dit que le mariage implique « communauté de vie », il ne dit pas « communauté de lit » et qu’on ne peut donc prononcer un divorce aux torts de la femme si elle refuse d’accomplir « son devoir conjugal ». Ce final ouvre une fenêtre d’espoir. Il est difficile de faire bouger la loi, la justice résiste mais parfois elle suit le mouvement.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 3 octobre au Théâtre de la bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris – du lundi au vendredi à 19h30, le samedi à 17h – Réservations : 01 43 57 42 14 ou www.theatre-bastille.com

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