Ce grand mouvement de mobilisation de la jeunesse de la Chine ne fut lancé en 1966 par un Mao Zedong vieillissant et cynique, que pour asseoir son pouvoir déclinant, on le sait aujourd’hui. De 1966 à 1975, des millions de jeunes « gardes rouges » lancés sur les routes brandissant le petit livre rouge, des étudiants expédiés dans des campagnes lointaines dont ils ne connaissaient rien, des enfants soldats embrigadés poussés à dénoncer voisins, père et mère, et au final un déchaînement de violences aveugles qui ont fait plus d’un million de morts. Cette libération des énergies juvéniles séduisit nombre d’intellectuels en Europe, un parti maoïste se créa en France, un intellectuel comme Alain Badiou justifia même les morts, dont il minimisa le nombre, en arguant de la taille de la Chine et de l’enjeu !

Cet épisode, que pourtant nul n’a oublié en Chine, y est aujourd’hui totalement occulté. On a tenté de convaincre la population que pour aller de l’avant il fallait oublier. L’heure est au culte de la croissance et de l’enrichissement. Mais dans une Chine qui s’est mondialisée, les inégalités explosent et l’absence de liberté d’expression et d’état de droit commencent à interroger certains, que le développement de la société de consommation ne suffit plus à satisfaire.

Roland Auzet a conçu ce spectacle, qu’il a aussi mis en scène, en s’appuyant sur le texte de Luo Ying,ancien garde rouge devenu poète et homme d’affaires. Sonpoème-document, Le gène du Garde Rouge, souvenirs de la Révolution Culturelle est paru en France en 2015 mais est toujours interdit en Chine.

Lorsque la pièce démarre, la vidéo, qui occupe tout le fond de la scène, montre un certain Pierre travaillant avec un groupe de jeunes Français et Chinois sur ce qu’ils vont faire du texte de Luo Ying. Les opinions se télescopent, les langues, chinois et français, se succèdent. Les Chinois, des jeunes qui ont réussi socialement et parlent parfaitement le français, s’interrogent. Que savent-ils de la Révolution Culturelle eux qui ont moins de trente ans et Pierre, même s’il a eu des parents maoïstes, que sait-il vraiment de la Chine ? Peut-on aller de l’avant si on ne purge pas les souvenirs du passé ? Comment comprendre tous les virages pris par la Chine après la mort de Mao, l’encouragement à l’enrichissement personnel, l’importance prise par l’argent et la sexualité ?

Dix jeunes acteurs vont venir ensuite mettre toute leur énergie dans ces « disputes » au sens ancien du terme. Le texte n’évacue pas les horreurs qui se déroulèrent sous l’égide de Mao, mais y ajoute une pointe d’humour cruel sur les aveuglements occidentaux, le costume mao passant de la Place Tienanmen à la place Vendôme en passant par Jack Lang. Yann Collette incarne Daf Rosenberg, ce Français qui s’était engagé au service de la Révolution Culturelle, jouait aux cartes avec Mao et maintenant conseille de grandes multinationales ! La vidéo fait revivre le Pékin de l’époque, les grands rassemblements de masses brandissant le petit livre rouge. Des dazibao font leur apparition sur les murs mais aussi des slogans de mai 1968 comme « Nous ne sommes rien soyons tout », comme un écho des grands malentendus entre la France et la Chine. La musique explose ou se fait chanson.

Roland Auzet est passé maître dans ces pièces chorales, fresques de grands moments d’histoire comme il l’avait fait il y a deux ans dans Nous l’Europe. Il y mêle textes, vidéos et musiques avec une énergie formidable. Même si la pièce gagnerait à être un peu élaguée, on reste passionné par ce qui se joue, emporté par la mise en scène, la musique et le talent des jeunes acteurs. Un grand moment de théâtre !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 8 octobre au Théâtre des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine – du mercredi au vendredi à 20h, le samedi à 18h – Réservations : 01 43 90 11 11 ou www.theatre-quartiers-ivry.com – En tournée ensuite à Lyon, à la MC2 de Grenoble, puis Tours, Marseille, La Roche-sur-Yon, Toulon

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