Les luttes ouvrières sont peu présentes sur les scènes de théâtre et, comme dans la vie ainsi que le souligne Michelle Perrot, celles des ouvrières sont encore plus invisibles. Moins syndiquées, n’ayant le plus souvent pas de leaders qui personnifient leur lutte, on ne les entend pas beaucoup. Pour une fois, elles sont là, sur le plateau de la Comédie française.

Dix ouvrières d’une usine textile, le comité d’usine comme le prévoit la loi italienne, attendent le retour de leur déléguée, Blanche, désignée pour aller discuter de l’avenir de l’usine avec les représentants de la direction et des repreneurs étrangers. Toutes craignent que cette reprise soit l’occasion de fermer ou, tout au moins, de licencier une partie des deux cents ouvrières. À son retour Blanche leur annonce qu’il n’y aura pas de licenciement mais que la direction exige un geste, qu’elles renoncent à sept minutes de leur pose de quinze minutes. Toutes disent « 7 minutes, ce n’est rien ». Mais Blanche annonce qu’elle votera non et leur demande de prendre le temps de la réflexion. S’engage alors une discussion entre ces femmes d’âge différents, mues par des problématiques différentes. Elles ont deux heures pour décider au nom de leurs 200 collègues.

La pièce de Stefano Massini, dont on avait aimé il y a quelques années La trilogie des Lehman Brothers, n’est pas une pièce militante mais c’est une pièce politique, en ce sens qu’elle conduit à une réflexion sur le sens du travail, sur la tyrannie de la rentabilité, sur la dignité ouvrière, sur ce qu’on est prêt à abandonner pour conserver son emploi (on pense bien sûr aux films des Frères Dardenne). La position de Blanche, seule contre les autres au début, qui évoque celle de Henri Fonda dans le film Sept hommes en colère, crée une tension qui va amener chacune des ouvrières présentes à choisir en fonction de sa situation personnelle, mais aussi en pensant au collectif de travail et à des questions qui vont bien au-delà de ces 7 minutes qui peuvent sembler bien dérisoires.

La mise en scène de Maëlle Poésy est bifrontale, Les spectateurs sont de part et d’autre d’une sorte de vaste local de stockage où arrive, avant que la pièce ne commence, le bruit assourdi d’une chaîne. Les dix ouvrières sont là, elles attendent depuis quatre heures le retour de leur déléguée. Avec ce dispositif les spectateurs d’un côté de la scène ne sont pas toujours face à l’actrice qui parle, mais ils voient la réaction des autres et réciproquement pour ceux qui sont de l’autre côté. Ils sont au plus près de comédiennes et cela les implique davantage.

Pour nourrir sa mise en scène, Maëlle Poésy a rencontré de nombreuses ouvrières, certaines ayant subi des licenciements, d’autres ayant travaillé longtemps dans la même usine. Elle s’est servie de leurs histoires pour nourrir l’imaginaire des comédiennes et donner chair à leur interprétation. Sept sociétaires de la Comédie Française, Claude Mathieu, Véronique Vella, Françoise Gillard, Anna Cervinka, Élise Lhomeau, Élissa Alloula, Séphora Pondi auxquelles s’ajoutent Camille Constantin, Maïka Louakairim, Mathilde-Edith Mennetrier et Lisa Toromanian incarnent ces ouvrières avec un réalisme étonnant. D’âges différents, d’origines différentes, avec des parcours de vie différents, elles vont faire apparaître avec finesse les raisons du choix que fait leur personnage. La lassitude de Blanche (magnifique Véronique Vella) est sensible, tout comme l’usure des corps pour certaines. Le ton monte dans la discussion, certaines sont prêtes à en venir aux mains, la plus vieille, Odette (Claude Mathieu), calme le jeu, et l’émotion affleure quand on n’arrive pas à convaincre.

Comme le dit la metteuse en scène « la pièce s’ouvre sur un groupe désuni et pose fondamentalement la question de la difficulté de s’unir dans un cadre social poussé à l’extrême précarité ». Quelle sera la décision finale ?

Du théâtre politique comme on l’aime, avec des dialogues vivants sur un sujet qui nous concerne tous, des comédiens éblouissants et … un vrai suspense. C’est magnifique !

Micheline Rousselet

Du 15 septembre au 17 octobre au Vieux-Colombier – 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris – Réservations : 01 44 58 15 15 – du mercredi au samedi à 20h30, mardi à 19h, dimanche à 15h

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