À peine entré dans le petit théâtre de la Flèche, ce qui surprend c’est la musique, assez forte. Du rap français, une ambiance qui suggère un corps à corps avec la langue. Dans le noir, on distingue sur le plateau une silhouette assise sur une chaise, jogging noir, baskets et capuche. Le fantôme se lève, bouteille d’eau en main et tourne autour de la chaise, à grands pas ou en sautillant. La performance s’annonce dans ses mouvements d’échauffement, le rap résonne toujours. La salle est pleine à craquer. Ni rappeur, ni catcheur, ni boxeur mais un peu de tout ça à la fois, l’acteur s’apprête à affronter seul le texte, la salle, la scène. Il va se jeter dans le vide pour le remplir de son art. La luminosité baisse du côté du public et augmente sur la scène où la silhouette se lève, enlève sa capuche et attaque le texte. C’est parti ! Très vite le quatrième mur tombe sous les coups de ses mots vrais, percutants, chargés d’un vécu que l’on devine à peine passé, qui affleure à la surface de ses paroles, inflexions de voix, gestes, mouvements de corps. C’est une histoire de maladie au nom qui effraye, lutte à mort, donc pour la vie : c’est elle ou nous ! Pas d’ex-æquo, pas de quartier, un vainqueur qu’on n’imagine pas être la Grande Faucheuse ! Le récit est riche en affects, états d’âme mais aussi péripéties tragi-comiques, en choses simples du quotidien et en situations inédites. Il relate une expérience qui déplace les repères, remet les pendules à l’heure et dont on ne sort pas indemne. « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » disait Nietzsche.
Dans le public, ça vit et ça suit au mot près, joies, tristesse, rires, gorges serrées, relâchement… En 66 jours de combat, tout y passe, la surprise inquiète des premiers symptômes et l’annonce glaçante du diagnostic, les proches trop ou pas assez prévenants, tantôt insupportables dans leur apitoiement tantôt heureusement présents et réconfortants. Les micro-espoirs et les maxi-angoisses, les soignants avec parfois brusquerie, tant de sollicitude aussi. L’acteur revit son histoire dans la distance du jeu et nous suivons le récit autobiographique en résonance avec nos existences. Des moments intimes et de grâce aussi.
La proximité des petites salles induit un fort coefficient de partage à condition que sur scène l’acteur soit totalement engagé, impliqué. C’est mille fois le cas de Théo Askolovitch ; ce jeune comédien, au parcours déjà riche et auteur du spectacle, a un talent remarquable, une énergie théâtrale redoutable et compacte. Il combine et rythme les différents moments dramatiques à merveille. Son jeu très travaillé et concentré paraît instinctif, variant le débit de paroles dans une diction parfaite. Les intonations de voix et les silences, les mouvements rapides ou ralentis et les repos de son corps en scène se produisent avec une précision et une puissance d’affecter très assurées. La scénographie de François Rollin est ultra minimaliste, faite d’une chaise noire au centre du plateau nu. Elle contient cependant un objet à haute densité symbolique qui ne sera pas mis en action, ni bougé ni même évoqué et encore moins explicité mais le jeu d’acteur se déroulera parfois près de lui : une cage pour petit animal domestique, blanche et vide, posée au sol dans un coin de la scène.
En écho à la lutte pour guérir, l’acteur passionné de foot évoque la Coupe du monde 2018. Une autre bagarre lointaine et proche à la fois. La finale arrive… Et si la retransmission coïncidait avec une rémission ? « La victoire, ma victoire ! »
Impressionnant, ce théâtre de Théo !
Jean-Pierre Haddad
Au théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris 75011. Jusqu’au 16 mars. Tous les mercredis à 21h.
Infos et réservation : 01 40 09 70 40 et info@theatrelafleche.fr
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