Contre toute attente Lilian Fauger, un jeune coureur dunkerquois s’échappe dans la dix-septième étape du Tour de France. Seul dans l’effort et dans la douleur, il réfléchit à haute voix. Il passe des souvenirs personnels aux anecdotes sur le cyclisme, parfois entrecoupées du code Wegmuller, sorte de manuel des règles d’honneur du cyclisme. Il dit sa hargne, son désir de vaincre, l’éblouissement de l’échappée, la souffrance et la peur de la chute, le cauchemar d’être doublé près de l’arrivée, il raconte l’entraîneur, l’argent, les magouilles.

Le roman éponyme de Bernard Pouy (bien connu des lecteurs de polars et des auditeurs des Papous de France Culture) a séduit la Compagnie Morbus Théâtre. Il suffisait de quelques coupes pour adapter ce monologue avec son rythme de poésie scandée.

L’ambiance du tour est là, avec des bruits de retransmission radio et des images vidéo de la route telle que la voit le coureur accroché à son guidon. Norbert Choquet, mécano plasticien, a crée, avec du fil de fer et du tissu aux couleurs psychédéliques une petite merveille de cycliste sur son vélo.  Fixée sur une table la figurine donne l’illusion du mouvement. Il suffit que l’interprète déplace la table pour qu’on ait l’impression d’être dans l’hélicoptère qui survole le coureur ou que l’on soit le coureur qui voit le dos du poursuivant qui vient de le doubler.

Placé au-dessus ou à côté d’elle Samuel Beck monologue, se penchant dans les virages, tirant sur ses bras pour accompagner la montée du col ou semblant s’accrocher au guidon dans la descente. La gestuelle est parfaitement maîtrisée, la diction claire, le texte scandé comme dans l’effort. Guillaume Lecamus, le metteur en scène joue aussi l’entraîneur. Armé d’une pompe à vélo il est le souffle du coureur, il lui tend son bidon d’eau, il cite le fameux code Wegmuller et avec un minimum de mots règle le sort final de l’échappée.  

54×13 (braquet bien connu des cyclistes) est l’histoire d’un homme que l’on n’attendait pas, qui « quitte l’enfer des autres en s’échappant », découvre « l’art de la fugue » et se trouve projeté dans la lumière, un homme qui dépasse la souffrance par sa rage de vaincre, mais un homme qui a peur aussi car le vélo est un sport dangereux où l’on peut mourir. Dans la réflexion de cet homme, on entend une métaphore de la vie, où il est le petit, le sans-grade qui se bat pour son rêve, tente de s’extraire de sa condition et finit vaincu et mélancolique. Du théâtre d’objets comme on en rêve, une très belle réussite !

La compagnie prépare actuellement 2h32 une pièce contant l’histoire de la marathonienne Zenash Gezmu dont la présentation est prévue au Mouffetard en 2022.
Micheline Rousselet

Spectacle vu dans une représentation destinée aux professionnels au Théâtre Mouffetard, théâtre des arts de la Marionnette à Paris. Le spectacle y sera repris en même temps que la création de 2h32 en Mars 2022.

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