Théâtre narratif ? Seul en scène un peu loufdingue ? Un spectacle circassien ou du théâtre musical ? A moins que cela ne relève du conte fantastique ? Farce tragi-comique peut-être ? Quid alors de l’aspect ethnologique portant sur le phénomène des légendes urbaines ? Sans oublier la dimension méta-théâtrale sur la rareté de mise en scène de la peur. Rien de tout cela et tout cela en même temps! Sur la grande scène du petit théâtre Dunois, dans le 13e parisien, Marien Tillet est à la fois acteur, conteur, auteur, musicien ou musicœur, penseur, passeur et farceur ! On se souvient de l’originalité et du succès d’Ulysse nuit gravement à la santé (2013). La performance, cette fois, n’est pas de l’ordre de l’épopée-concert mais tout simplement de celui du jeu théâtral contemporain sauf que Marien a tellement de flèches à son arc qu’il ne peut partir en scène sans en décocher plusieurs la fois et pour notre plus grand bonheur.

Tout commence par l’achat d’une vieille armoire à un brocanteur impossible à amadouer. Une armoire, c’est encombrant spatialement… et mentalement ! Surtout quand elle a une porte-miroir qui nous trahit cruellement et un tiroir qui ne s’ouvre que lorsqu’il le veut bien – petit clin d’œil au nom de sa compagnie : Le cri de l’armoire… Là, point de meuble criant mais affolant si. Rendant fou par le truchement d’un affect peu joué, ou suscité chez le public – Tillet est passé maître dans l’art d’interagir avec lui. La peur est en effet une émotion très apte à nous faire penser, dire et faire n’importe quoi ! La peur par surprise mais aussi la peur désirée car nous ne rechignions pas à nous faire peur, à jouer avec des peurs possibles ou imaginaires, voire à les pousser jusqu’à l’effroi. Comme s’il s’agissait de nourrir des peurs d’enfance, de leur donner quelque chose à se mettre sous la dent avant qu’elles nous dévorent nous-mêmes !

Après une introduction pleine de fines interpellations du public, l’histoire se déclenche par un acte aussi inévitable que déconseillé. Faut-il lire les journaux intimes des autres ? Mais peut-on s’empêcher de le faire quand l’un d’eux nous tombe sous la main ou qu’il est recraché par le tiroir lunatique d’une vielle armoire ? On commence la lecture sans y penser et très vite il est trop tard, impossible de ne pas se laisser aspirer, parfois loin de soi, vers des histoires irrationnelles et irrésistibles… De Paris aux confins irlandais d’une vallée minière, Marc et son double Fabien voyagent au pays des sorcières entre mythologie fantastique et hystérie collective. Il y aura la rencontre insolite et mystérieuse d’une jeune femme aussi évanescente qu’énigmatique, des rêves tournant aux cauchemars et l’histoire tristement banale de deux pauvres sœurs accusées par la foule. Ballotté entre tout cela par une curiosité délibérément scientifique et secrètement enfantine, le protagoniste se retrouve face à ses peurs et nous aux nôtres. Peur de soi, peur de son impuissance, peur de l’autre et projection de la peur en haine ou violence, ne sont-ce pas là des ingrédients universels des rumeurs stigmatisantes et des calomnies meurtrières ?

Mais ceci ne rend que très peu compte du spectacle car il y manque la dimension de jeu à la fois théâtrale et musicale. Marien Tillet joue de son corps, de sa voix et de nos émotions avec autant de virtuosité qu’il joue de son violon, avec ou sans archet, entre ballades et rythmes endiablés. Belle complicité de Pierre-Alain Vernette pour les effets techniques de boucles sonores enregistrées en direct. Sur le plateau presque nu et très noir, la scénographie de Samuel Poncet se déploie avec une efficacité discrète et toujours surprenante.

Ces deux sœurs ont eu la chance de trouver un raconteur haut en couleur.

Jean-Pierre Haddad

Théâtre Dunois, 7 rue Louise Weiss, 75013 Paris. Jusqu’au 18 mai à 20 h. Réservation au 01 45 84 72 00 ou sur reservation@theatredunois.org Reprise au 11. Avignon, 11 Bd Raspail, du 7 au 29 à 13h35, relâche les 12, 19 et 26 juillet.


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