
Pourquoi s’intéresser à un opéra dont le livret serait inachevé ? Pire, que faire de sa partition sans ouverture ni final ? Oui, mais cette œuvre est celle d’un génie musical nommé Wolfgang Amadeus Mozart ! De plus, bien le singspiel en deux actes qu’est son Zaïde (1780) soit inachevé ou peut-être seulement incomplet, il est son premier opéra franc-maçonnique, composé à l’âge de 24 ans. Troisième raison de s’y intéresser, Zaïde est une œuvre qui contrairement à beaucoup pour le compositeur comme pour toute l’époque, ne semble pas avoir été une commande mais venait de l’intention de l’artiste lui-même.
Nous sommes dans un orient imaginaire et Zaïde est une esclave chrétienne du sultan Soliman qui en est amoureux. La jeune femme aime un autre esclave avec lequel elle s’enfuit avec l’aide d’Allazim, serviteur du sultan. Les trois fuyards sont repris et risquent la mort. Mais Allazim a jadis sauvé la vie du sultan qui le gracie. Que vont devenir Zaïde et son amoureux Gomatz ? On ne le saura jamais puisque le livret de Johann Andreas Schachtner (inspiré par la tragédie Zaïre de Voltaire) est resté inachevé. Dans L’enlèvement au sérail, plus tardif, tout se finit bien… Une chose est sûre, entre le christianisme et le mahométisme Wolfang a déjà choisi : pour lui c’est l’émancipation et les valeurs de la Franc-maçonnerie !
Un peu d’ironie positive. Une des valeurs cardinales de la Franc-maçonnerie est le progrès de la connaissance au service de celui de l’humanité dont les femmes constituent un peu plus de la moitié… C’est là que s’avance deux siècles et demi après, Louise Vignaud qui en 2023 propose une adaptation et une mise en scène de Zaïde jouée à l’opéra de Rennes et coproduite par l’Opéra Grand Avignon et l’Angers-Nantes Opéra. Cette metteuse en scène de théâtre passionnée a considéré les manques et absences de l’œuvre de Mozart comme une opportunité de création : « une grande machine à rêves et à possibles ». Quelle aubaine pour une artiste d’aujourd’hui de mêler son travail à celui d’un génie musical d’une fin de XVIIIe siècle pleine de bouleversements ! Fusionnant avec l’œuvre et l’époque de Mozart, elle reprend le livret pour en faire une leçon de libération et d’humanisme. « Zaïde » signifie en arabe « croissance » et c’est bien à une augmentation quantitative et imaginaire que s’est livrée l’artiste passée par le TNP de Villeurbanne : Vignaud faisait croître la Zaïde de Mozart… Admirer, respecter une œuvre et la servir, cela peut se faire en y apportant des nouveautés et dans le cas présent, en la réécrivant avec la dramaturge Alison Cosson si habile dans l’écriture caméléon. Les deux artistes déjà complices créent par exemple un personnage de récitante, Inzel dont Vignaud nous dit qu’il est un « Esprit de l’île qui recueille les enfants [les jeunes amoureux], les met à l’épreuve de Gomatz et leur offre la possibilité de grandir. Esprit qui accueille également le public, en ouvrant la représentation. Zaïde enjambe les siècles et les genres. Cet opéra d’hier et d’aujourd’hui nous propose un instant de nous jouer des frontières aussi bien stylistiques qu’humaines, pour relier les Lumières à l’aune de notre monde contemporain – qui en a bien besoin ! »
On devine les puristes s’offusquer qu’on modifie une œuvre du passé, de surcroît celle d’un très grand ! Mais c’est ignorer que l’histoire est un perpétuel mouvement de reprise et d’avancée dans tous les domaines, l’art compris. Proposer une Zaïde intégrale et renouvelée est audacieux et donc risqué mais cela n’aurait peut-être pas déplu à Mozart dont la création ne manquait pas d’audace.
Direction musicale, Nicolas Simon ; Composition et Orchestration, Robin Melchior. Dramaturgie / Livret parlé Alison Cosson et Louise Vignaud. Décors, Irène Vignaud. Dans le rôle de Zaïde, la soprano originaire d’Orange, Aurélie Jarjaye ; Kaëlig Boché dans celui de Gomatz. Allazim, Andres Cascante et le Sultan Soliman, Mark van Arsdale. Inzel (narratrice), Charlotte Fermand – Orchestre national Avignon-Provence
Autour de l’œuvre :
Baptême de l’air (s’essayer à chanter des airs de Zaïde) : le Mercredi 16 Avril – 18h30, Opéra Grand Avignon
Conférence de Michel Barruol Samedi 19 Avril – 14h30 Opéra Grand Avignon – Salle des Préludes Gratuit
Immersion à l’Opéra « Zaïde » Vendredi 25 Avril – 18h45 Opéra Grand Avignon réservées aux détenteurs du billet du spectacle du jour réservation: aurore.marchand@grandavignon.fr
Prologue – Salle des Préludes à l’Opéra : vendredi 25 avril à 19h15, dimanche 27 avril à 13h45. Un éclairage sur l’ouvrage est proposé avant les représentations. Entrée libre sur présentation du billet du spectacle.
Jean-Pierre Haddad
Opéra Grand Avignon, Place de l’Horloge, 84000 Avignon. Vendredi 25 avril 2025 à 20h00 ; Dimanche 27 avril 2025 à 14h30. Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/zaide-mozart
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu