Quoi, le spectacle proposé par l’Opéra d’Avignon et l’Orchestre national Avignon-Provence en ce début 2024 et dans le contexte de guerres y compris en Europe, n’est pas Die Zauberflöte de Wolfgang Amadeus Mozart et d’Emanuel Schikaneder ? Non, mais oui ! Une adaptation n’est pas un sacrilège, « crime » qui n’existe pas en République, rappelons-le. D’ailleurs, si le dernier opéra de Mozart créée en septembre 1791 (deux mois avant la mort du génie et en pleine Révolution Française) fut un succès immédiat, il n’arriva à Paris (pas en Provence ni en province) qu’en 1801 et sous la forme d’une libre adaptation intitulée Les mystères d’Isis !

Cette Flûte enchantée avignonnaise, elle, adaptée, résumée, traduite musicalement et mise en scène par Caroline Leboutte, respecte parfaitement l’opéra original. Les personnages et l’intrigue y sont conformes mais le texte a subi quelques coupes et donc la partition aussi. Pire, atteinte inadmissible pour les puristes ou les ayatollahs d’un héritage culturel gravé dans le marbre, la dramaturgie a introduit le personnage de la Presse, en les personnes de deux jeunes journalistes, une fille et un garçon, intervenant pour commenter l’action, interviewer les protagonistes et renvoyer les enjeux vers le public. Faut-il condamner le procédé ? Le présent a un droit que le passé ne peut lui enlever puisqu’il est mort, celui de se réapproprier ses œuvres, en le disant et l’assumant. En soi, le procédé est neutre mais quand il est réussi et ajoute une dimension nouvelle ou actuelle à l’œuvre, on peut s’en féliciter. Dans notre monde, les reporters de guerre ne parcourent-ils pas une Terre à feu et à sang, bravant tous les risques pour nous informer ou nous alerter sur une humanité qui semble avoir renoncé à vivre en paix comme l’y invite La flûte enchantée de Mozart. Sur la scène, les dangers sont moindres et nos deux reporters de guerre se font reporters de drame au sens théâtral puisque ce célèbre opéra navigue sans complexe entre tragédie et comédie. Quant au sous-titre de cette flûte, il affiche clairement un vœu bien venu en ce mois de janvier 2024 : Le souffle de la paix. Puisse-t-il déborder du plateau et traverser la planète !

Comédie féerique ou opéra symbolique, La Flûte enchantée est aussi un conte maçonnique qui entend initier le public, non pas à des rituels secrets mais à la paix et à l’amitié entre les humains. Après la Liberté dans L’enlèvement au sérail et l’Égalité avec Les Noces de Figaro, Mozart entendait louer et chanter la Fraternité ! En plus d’apprendre La Marseillaise (dont il faudrait changer au moins deux ou trois de ses paroles…), on gagnerait beaucoup à emmener les écoliers à l’opéra !

Initiation ? Mais justement, cette Flûte allégée mais toujours aussi gaie est d’abord et avant tout un « opéra participatif », aspect qui conditionne son adaptation. Le projet d’impliquer le public de tout âge et de le faire chanter depuis la salle induisait la traduction en français et une réduction de la durée de l’œuvre (pour rappel, de trois heures). Et ça marche ! À plusieurs reprises, la cheffe d’orchestre Déborah Waldman se tourne vers la salle légèrement rééclairée dans l’instant et se transforme en cheffe de chœur pour faire chanter ceux qui le souhaitent depuis leurs fauteuils en suivant des surtitres rouges. Chose plus remarquable encore, des deux côtés du premier balcon, ce sont des écoliers d’Avignon qui chantent les airs travaillés préalablement en classe ! L’initiation de Tamino devient alors une aventure initiatique à l’opéra pour moult enfants et parents, un public populaire venu en famille et découvrant peut-être pour la première fois une salle de concert avec fauteuils en velours, dorures et grand lustre au plafond. Une initiation à « la grande musique » encore trop souvent réservée à l’élite sociale, une découverte de l’opéra comme genre et comme lieu. Nul doute que le génie musical dotée d’un esprit libre et éclairé qu’était Mozart, aurait applaudit avec enthousiasme cette initiative-initiation. Sans oublier un air doublé en Langue des Signes Française, « chorégraphié à la main » sur scène. Un opéra très inclusif décidément ! N’oublions pas non plus le décor d’Aurélie Borremans fait d’un chemin de lattes de bois surélevé aussi simple qu’efficace, un magnifique jeu de lumières sur un rideau de fils blancs conçu par Nicolas Olivier et bien sûr, la distribution lyrique faisant une belle place à de jeunes talents : Julien Henric (Tamino), Charlotte Bonnet (Pamina), Jean-Denis Piette (Sarastro), Inès Lorans (La Reine de la nuit), Thimothée Varon (Papageno), Julia Deit-Ferrand (Papagena) à qui s’ajoutent pour La Presse, Marco Guillemet et Madeleine Peylet.

Oui, une flûte enchanteuse qui pourrait faire déchanter les accrocs à la pureté mais qui nous a largement et joyeusement fait chanter !

Jean-Pierre Haddad

Opéra Grand Avignon, Place de L’Horloge, Avignon 84000 ; les 20 et 21 janvier 2024. En coproduction avec Teatro sociale di Como-AsLiCo et l’Opéra de Rouen-Normandie. Avec le soutien de Fedora – NextStage et en partenariat avec l’Institut Médico-Éducatif St Ange (Avignon), l’URAPEDA (Union régionale des associations de parents d’enfants déficients auditifs) et des étudiants en licence professionnelle « Intervention sociale et Langue des signes »

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