Cela commence comme un mariage, avec des ballons et de la musique pop. Deux musiciens, Jérémie Arcache et Benjamin d’Anfray, et deux chanteuses, Agathe Peyrat et Cloé Lastère, créent une ambiance de fête, chantent des standards comme Elle a les yeux revolver tandis que le public entre dans la salle, invité à accompagner ces chansons que tous connaissent. On porte des toasts, on rappelle des souvenirs. Puis la lumière baisse, les musiciens s’arrêtent. Un drame est arrivé, la mort s’est invitée brutalement.

Jeanne Desoubeaux, avec la Compagnie Maurice et les autres, a toujours eu le désir de mêler théâtre et musique, musique populaire et opéra. Elle a choisi pour ce spectacle de s’attacher à l’Orphée et Eurydice de Gluck en mêlant chanteuse lyrique et comédiens-chanteurs non lyriques.

Parce que la mort de l’être aimé et le vertige qui s’empare de celui qui reste est un sentiment universel, la metteuse en scène Jeanne Desoubeaux a fait d’Orphée une femme. D’ailleurs Berlioz en son temps avait fait chanter le rôle d’Orphée par Pauline Viardot, costumée en homme. Ici c’est une femme qui voit passer le corps de sa bien aimée recouverte d’un drap sur un chariot d’hôpital. Désespérée elle implore les Dieux et ceux-ci vont lui permettre d’aller chercher Eurydice aux enfers. Mais elle devra d’abord par son chant charmer les démons, qui gardent les enfers, puis ramener Eurydice, mais sans avoir le droit de la regarder ou de lui révéler le contrat passé avec les Dieux, sous peine de la perdre à tout jamais.

La mise en scène crée un univers poétique et mystérieux. Les Dieux apparaissent nus, en hippies couronnés de fleurs avec leur ukulélé, les monstres des enfers en personnages dont la tête est un œil espionnant tous les mouvements d’Orphée. Douleur, deuil et noir envahissent le plateau. C’est sur le noir qu’ouvre la porte des enfers d’où sortent des nuages de fumée pour l’arrivée des dieux. Un voile de tulle, telle une immense vague, semble cacher les monstres que doit charmer Orphée. Comme halés par des forçats sortis de l’enfer le pianiste avec son piano à queue et le contrebassiste traversent lentement le plateau sur des plateaux mobiles.

Agathe Peyrat, émouvante Eurydice, apparaît dans une robe blanche dans le dos d’Orphée. Elle ne peut accepter que sa bien-aimée ne veuille pas la regarder. Qu’est-ce que l’amour, si on ne peut se regarder, se parler, se toucher ? Appuyée au piano, elle chancelle et sa voix s’élève poignante, splendide. Cloé Lastère est magnifique d’émotion en Orphée confrontée à un choix impossible. Si elle ne la regarde pas le chagrin fera mourir Eurydice, si elle la regarde, elle mourra condamnée par les Dieux. Les voix des deux chanteuses capables de passer de la pop du début au répertoire lyrique portent l’émotion à son comble.

Le spectacle se termine par des images qui restent gravées dans les mémoires. Eurydice a disparu, le noir envahit tout, un homme hale avec difficulté vers la sortie le piano et son pianiste. Il ne reste plus qu’Orphée pleurant son bonheur perdu « Je marche dans tes cheveux sans trouver mon chemin, j’escalade tes seins … si tu savais où je marche la nuit ». Un spectacle magnifique !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 17 avril au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de La Chapelle, 75010 Paris – du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h –

Réservations : 01 46 07 34 50 ou www.bouffesdunord.com

Tournée : du 26 au 29 avril La Manufacture-CDN de Nancy ; le 3 juin Biennale Là-haut, Saint-Omer

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