
Eugène Sue, pourtant royaliste et qui rechignait à écrire sur les gens du peuple, s’était lancé dans ce qui devait être un roman en deux volumes et qui commença publié en feuilleton dans le journal des débats en 1842. Devant le succès il multiplia les intrigues, les personnages au point d’arriver à une dizaine de volumes !
Patrick Alluin, Didier Bailly et Eric Chantelauze qui se sont déjà illustrés au Théâtre de La Huchette dans la comédie musicale (Exit, Huckleberry Finn et Comédiens) ont pensé que ce roman, sorte de Misérables façon mélodrame, qui passe de l’intrigue policière à la romance sans oublier une dénonciation des injustices sociales, était bien adapté à la comédie musicale. Ils ont trié dans la multitude d’intrigues et de personnages pour ne garder que les plus intéressants et ont un peu bousculé les personnages pour les rendre plus touchants. Ils ont taillé allègrement pour centrer l’intrigue sur trois personnages, Rodolphe comte de Gérolstein, courageux et généreux au passé un peu mystérieux qui évoque Jean Valjean, Fleur de Marie, telle Cosette, abandonnée à la rue et à des misérables (les Thénardiers de l’histoire) qui l’exploitent et Maître Ferrand, le notaire crapuleux et violeur. Autour d’eux évoluent une dizaine d’autres personnages. Cette adaptation, sans négliger la dénonciation sociale à l’œuvre dans le feuilleton, laisse le spectateur en haleine, attendant le nouveau rebondissement en s’inquiétant du sort de Fleur de Marie et des vilenies imaginées par ses persécuteurs, le notaire, le maître d’école et son âme damnée la Chouette.
Le roman nous conduit des bas-fonds aux salons parisiens. Dans sa scénographie Patrick Alluin, qui met en scène la pièce, a fait le choix d’éviter de rechercher des décors naturalistes, ce qui eut été impossible sur la petite scène du théâtre de La Huchette. Ce sont des toiles peintes qui envahissent tout le plateau, de couleur sombre pour les scènes des rues sordides et claires pour les salons. L’imagination du spectateur, magie du théâtre, fait le reste !
La version musicale de Didier Bailly et le livret d’Eric Chantelauze nous font passer de la romance à la violence des sentiments et des situations. Douze grands numéros musicaux, une dizaine de récitatifs et des dialogues chantés façon Jacques Demy vont contribuer à révéler les caractères des personnages, leurs contradictions et leurs choix, ainsi du notaire chantant « de l’or, je veux de l’or et fouler aux pieds ce troupeau que je méprise » ou façon tango « j’aime les femmes quand elles se livrent, voir leur vertu qui se brise ».
Trois formidables comédiens chanteurs (Olivier Breitman en alternance avec Arnaud Léonard, Simon Heulle et Lara Pegliasco) jouent les trois héros, mais aussi une quinzaine d’autres personnages. A peine un instant de noir, un discret changement de costume ou de perruque et le courageux et noble Rodolphe devient la Chouette immonde, la douce Fleur de Marie se mue en l’ambitieuse Sarah Mac Gregor, et Murph le majordome discret et dévoué en notaire cupide.
Embarquez-vous sans hésitation dans ce feuilleton rythmé qui tient le public en haleine et le laisse sous le charme.
Micheline Rousselet
À partir du 31 janvier au Théâtre de la Huchette, 23 rue de la Huchette, 75005 Paris – du mardi au samedi à 21h – Réservations : 01 43 26 38 99 ou reservation@theatre-huchette.com
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