On symbolise souvent une révolution par l’inversion des rôles, le renversement de l’ordre en place et son retournement au profit du dominé, ici de la dominée. Cette fable de Guillaume Apollinaire au titre ironiquement mythologique, date de plus d’un siècle et pourtant son propos révolutionnaire est encore en avance sur notre époque. Et même en avance sur la réalité puisque l’histoire est carrément surréaliste, en plus de féministe !

Thérèse est une femme refusant l’autorité́ de l’homme qui la réduit au rôle de procréatrice. D’un geste surréel, elle ôte ses mamelles, se rebaptise Tirésias et part conquérir un monde réservé aux hommes. Soldate, artiste, députée ou mathématicienne, rien ne l’arrête… Pas même son mari, à qui échoit la procréation et la tâche de repeupler la France. Une allégorie qui fait sortir les femmes de la caverne du patriarcat dans un grand éclat de rire ! Humour et loufoquerie contre une politique d’oppression, « c’est bien plus drôle !» disait Apollinaire.

La pièce fut créée en juin 1917 au Théâtre Maubel à Montmartre. Francis Poulenc assista à la première, au coté de Picasso, Modigliani, Éluard, Aragon… Par la succession de ses épisodes burlesques, le texte est proche d’une revue. Poulenc aura l’idée d’en faire un opéra-bouffe mais vingt ans plus tard, le temps pour le compositeur d’atteindre la maîtrise et de pouvoir illustrer avec souplesse le texte du poète fantasque. En 1938, Poulenc commence à travailler dessus. Il connait bien la langue du poète, qu’il a déjà̀ mise en musique dans plus d’une vingtaine de mélodies. Résultat, les Mamelles sont une pièce musicale kaléidoscopique mais cohérente, d’une fantaisie sans pareille. Finalement, l’œuvre, comprenant un prologue et deux actes, sera créée à l’Opéra Comique le 3 juin 1947. Trente ans de gestation mais un beau bébé : le texte d’Apollinaire inspire à Poulenc une partition où domine la surprise. S’y conjuguent l’atmosphère foraine, une écriture chorale quasi-liturgique, les rythmes de danses les plus modernes, des airs et des récitatifs dans la grande tradition. La gaité de l’œuvre devant célébrer la paix.

La mise en scène présentée à Avignon est signée Théophile Alexandre. Diplômé à la fois en chant lyrique et en danse contemporaine au CNSM de Lyon, Théophile Alexandre se distingue comme l’un des rares artistes à maîtriser et combiner ces deux arts. Son parcours riche et diversifié le mène, après la mise en scène et en danse de Children Of Britten à Vesoulen 2021, à s’atteler de plus en plus à des spectacles lyriques et chorégraphiques.

Une direction musicale de Samuel Jean. Dans le rôle-titre, Sheva Tehoval, soprano aux aigus stratosphériques. Fille d’un musicien belge de blues, elle découvre la musique classique à l’âge de 6 ans en entrant dans les Chœurs d’Enfants de l’Opéra Royal de Bruxelles.  

Cœur de l’Opéra Grand Avignon et Orchestre national Avignon-Provence dans une Coproduction Opéra Grand Avignon et Opéra de Limoges.

Au fait, Tirésias, est-ce en rapport à Œdipe ? Pas ici. Si on se penche sur le personnage mythologique de ce devin aveugle, on comprend aisément l’allusion de la fable/farce d’Apollinaire. Selon Ovide, Tirésias, né homme aurait été transformé en femme durant sept années avant de redevenir homme – premier transgenre aller-retour de l’humanité ! Pour cette raison, Zeus s’adresse à lui pour savoir qui de la femme ou de l’homme éprouve le plus grand plaisir dans l’acte sexuel. Héra, épouse du dieu-roi, prétend que c’est l’homme. Tirésias qui peut comparer les deux jouissances par lui-même, répond en faveur de Zeus, en affirmant que c’est la femme qui connaît le plus grand plaisir. Cela dit, dans sa préface, Apollinaire reconnaît que : « Il est impossible de décider si ce drame est sérieux ou non». Nous savons aujourd’hui qu’il est au moins pertinent puisqu’il posait une vraie question : pourquoi les jeunes filles ne pourraient-elles pas se penser et se construire hors de la maternité ?

Soirée lyrique et polysémique.   

Le court-métrage Good Girl (2022) réalisé par Mathilde Hirsch et Camille d’Arcimoles, produit par Fabienne Servan-Schreiber et Estelle Mauriac, sera projeté en première partie du spectacle, avec la voix d’Agnès Jaoui. Production Cinétévé, en partenariat avec l’INA, sur une initiative de La Maison des femmes de Saint-Denis, avec la collaboration du magazine Causette

Jean-Pierre Haddad

Opéra grand Avignon, Place de l’Horloge, 84000 Avignon. Vendredi 6 mai à 20h. et dimanche 8 mai à 14h30.

Baptême de l’air : Mercredi 28 mai 2025. Immersion dans les coulisses de l’opéra : Vendredi 6 juin 2025 à 18h45, réservée aux détenteurs de billet et limitée à sept participants seulement. Répétition publique : Samedi 31 mai 2025 de 15h30 à 17h. Entrée libre sur réservation à la billetterie de l’Opéra.

Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/les-mamelles-de-tiresias-poulenc

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