Le personnage de Violetta Valéry est une sorte de palimpseste. Sous la femme légère atteinte de tuberculose, de Verdi et Piave, on trouve bien sûr Marguerite Gauthier, l’héroïne de La Dame aux camélias. Mais celle-ci fut inspirée à Alexandre Dumas fils par une femme bien réelle, Marie Duplessis. Courtisane devenue comtesse, elle eut une vie brève puisqu’elle mourut à l’âge de 23 ans de tuberculose. Une vie riche en amants plus ou moins célèbres comme Franz Liszt ou Dumas lui-même. Si l’on devait s’arrêter là, il n’y aurait pas grand intérêt à évoquer la première couche de ce mille-feuille de personnages, mais Marie Duplessis qui se cultiva au gré de ses liaisons courtoises, a parlé d’elle avec une pertinence qui rejoint notre actualité faite de la juste dénonciation des méfaits du patriarcat sur la vie, la santé et l’intégrité des femmes. En effet, le modèle-source de La Dame aux camélias et de La Traviata, aurait déclaré à son biographe, Frédéric-Romain Vienne : « Est-ce ma faute, à moi, si j’ai perdu, à l’âge de huit ans, ma mère qui m’aurait élevée dans le devoir ? Est-ce ma faute si j’ai été livrée aux hasards du vagabondage ? Est-ce que mes penchants m’avaient prédisposée au libertinage ? Est-ce que j’avais une volonté? Votre conscience serait-elle d’affirmer que les désordres de ma vie ne sont imputables qu’à moi seule ? Avais-je à douze ans comme à quinze la responsabilité de mes actes ? Si la société me condamne, moi je l’accuse, et j’en ai le droit, de n’avoir pas protégé mon inconscience. » Marie, orpheline au père alcoolique, fut élevée par une tante jusqu’à l’âge de 12 ans, puis placée par le père chez un septuagénaire débauché.

Le droit d’accuser la société patriarcale et son absence de protection des jeunes filles, voilà bien une revendication éminemment féministe. C’est aussi, s’il en fallait une, une bonne raison de remonter La Traviata qui se jouera, effet de pur hasard, à quelques rues d’un palais de justice où se tient le procès de la domination masculine et de la culture du viol. La chose gagne encore en pertinence du fait que la mise en scène sera assurée par une femme, en la personne de la franco-suisse Chloé Lechat, passée par l’École supérieure d’art dramatique du Théâtre national de Strasbourg sous la direction de Stéphane Braunschweig. La dimension sociale voire politique du drame a atteint Chloé Lechat : « L’écrivain [Dumas] a fait de Marie Duplessis ce que la société, avant tout masculine et patriarcale, projetait sur elle. Dans La Traviata, me touche ce qui a dû frapper personnellement Verdi à son époque : l’hypocrisie d’une société tout entière. » La « dévoyée » du titre de l’œuvre devient une image défigurée par le regard dominant. 

Excellente façon pour l’Opéra Grand Avignon d’inaugurer sa saison « Femmes ! » Et l’on se prend d’impatience pour cette proposition annoncée pour la mi-octobre. D’autres raisons à cette attente. La première est à la fois historique et symbolique. C’est lors d’un séjour à Paris en 1852, en compagnie de la soprano Giuseppina Strepponi, que Giuseppe Verdi découvrit l’adaptation théâtrale du roman de Dumas. Dans la foulée, le musicien aurait entrepris la composition du futur opéra avant même d’avoir le livret de Francesco Maria Piave. Le maestro a dû être profondément touché par le destin social et personnel du personnage de Marguerite qu’il s’appropriera en la rebaptisant Violetta. Pourtant l’œuvre porte un titre qui semble marquer l’héroïne du sceau de l’infamie. Verdi aurait-il opéré une inversion du stigmate ? Une autre raison tient à la distribution lyrique. Le rôle de Violetta sera interprété par la soprano russe, Julia Muzychenko. A trente ans, la chanteuse formée au Bolchoï et à la Vocal Academy du Houston Grand Opera, est déjà auréolée de nombreuses récompenses prestigieuses. Nul doute que la ligne aérienne raffinée de la soprano offrira à Violetta des accents mémorables. A ses côtés, le ténor Jonas Hacker servira un Alfredo romantique mais faible de caractère. Et puis, l’Orchestre national Avignon-Provence sera dirigé pour l’occasion par Federico Santi, chef transalpin au large spectre musical et au répertoire remarquable. Bien entendu, le chœur de l’opéra sera de la partie, dirigé par Alan Woodbridge.

Mais l’opéra d’Avignon ne fait pas que proposer de grands moments musicaux. Soucieux de faire événement, il organise en amont du spectacle des temps forts largement ouverts au public. Cette fois-ci,  un « baptême de l’air » lui permettra de découvrir et de chanter un air ou extrait de chœur. La veille de la première, une rencontre avec Chloé Lechat, mettra les femmes à l’honneur, leurs métiers et leur place dans le paysage culturel français.  L’équipe de l’opéra propose également des « prologues » : avant chaque représentation le public muni d’un billet peut avoir un éclairage sur le spectacle. Enfin, à deux reprises, il sera offerts aux sept premiers spectateurs inscrits, de vivre en direct dans les coulisses, une partie de la préparation des artistes de la production.

Impatience démultipliée pour cette Traviata avignonnaise !
Jean-Pierre Haddad

Opéra Gand Avignon, Place de L’Horloge, 584000 Avignon. Vendredi 11 octobre à 20h., dimanche 13 à 14h30 et mardi 15 à 20h. 
Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/la-traviata-verdi

[photo de scène : © Steve Barek]

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