Avant d’être le synonyme d’une vie d’artiste, insouciante mais précaire, la bohème a été un royaume ! Au XIVe siècle le Royaume de Bohème sous la monarchie de Charles IV du Saint Empire, a connu un âge d’or. Prague, sa capitale, est alors rayonnante et de nombreux artistes italiens, allemands ou français y séjournent à l’invitation de la noblesse et du clergé. Le royaume survivra malgré les conflits religieux ou de succession, jusqu’au Traité de Versailles en 1919.

Mais comment passe-t-on du Royaume de Bohème à la bohème des artistes parisiens du XIXe siècle ? Les artistes de Bohème ne vivaient pas dans la misère auprès de leurs riches mécènes… Entre les deux moments et dénominations, il y a eu les Bohémiens, autre nom des Gitans ou plus tard des Tziganes. Mais les artistes pauvres du XIXe étaient des sédentaires et non des nomades… Le fil conducteur est ténu mais il existe et se trouve dans le roman de l’écrivain français Henry Murger (1822-1861), Scènes de la vie de bohème qui inspira le livret de l’opéra de Puccini confectionné par Giuseppe Giacosa et Luigi Illica. C’est donc de Murger, écrivain d’origine prolétaire, que vient cette appellation qui relie ces artistes parisiens non pas à ceux de la cour du Royaume de Bohème mais aux populations venant de la région de Bohème qui circulaient dans toute l’Europe, vivaient en nomades et dans l’indigence. Au vagabondage géographique des Bohémiens, Murger substitue une sorte de vagabondage social et de nomadisme urbain fait d’errance entre les mansardes les moins chères des quartiers pauvres d’une capitale en pleine apogée de la bourgeoisie industrielle et d’affaire ! L’auteur des Scènes de la vie de bohème est très clair : est bohème « tout homme qui entre dans les arts sans autres moyen d’existence que l’art lui-même », un peu comme le prolétaire n’avait que ses bras pour survivre ! Pour autant le nomadisme social de ces artistes était pour le romancier, transitoire et pouvait prendre trois directions : l’Académie ou la reconnaissance, l’Hôtel-Dieu ou la maladie ou carrément la Morgue ! Notons quand même que la culture des Bohémiens comprenait une forte dimension artistique passant par le cirque, la danse, comme le Flamenco, la musique à la guitare et le théâtre de tréteaux…

Dans ses intentions, Frédéric Roels directeur de l’Opéra Grand Avignon et metteur en scène de cette Bohème est précisément parti d’une question qui écartèle l’art entre son sujet ou sa référence dans le réel et sa représentation ou sa fiction : « Comment raconter, à l’Opéra, une histoire d’artistes pauvres ? » Il y répond avec engagement et pertinence : « Faire fi de tout élément spectaculaire du décor, nous appuyer sur un objet à jouer, qui raconte le déséquilibre des choses, l’instabilité et l’inconfort de cette vie. » Il y ajoute une dimension bien présente dans le roman et souvent inaperçu dans l’opéra : les moments de légèreté, d’humour et de badinerie ne manquent pas dans cette histoire tragique. Les occulter reviendrait à céder au misérabilisme alors autant les renforcer et en faire la meilleure façon selon Roels, d’atteindre une « adéquation entre les émotions vécues par les personnages de l’histoire et celles qui peuvent encore nous habiter aujourd’hui, 185 ans plus tard. » Belle façon également de servir le génie dramatique de Puccini et sa partition fulgurante !

Les choses ainsi posées, un éternel et nouveau désir d’assister à cette Bohème avignonnaise nous prend et nous tirera avec une envie grandissante jusqu’à la salle de l’Opéra Grand Avignon à la fin février…

Et si les plus beaux royaumes se rencontraient dans l’expérience artistique ?

Jean-Pierre Haddad

Direction musicale, Federico Santi ; chef de Chœur, Alan Woodbridge ; responsable de la Maîtrise, Florence Goyon-Pogemberg ; mise en scène, Frédéric Roels ; décors et costumes, Lionel Lesire. Dans le rôle de Mimì, Gabrielle Philiponet, dans celui de Rodolfo, Diego Godoy. Musetta, Charlotte Bonnet ; Marcello, Geoffroy Salvas; Schaunard, Mikhael Piccone; Colline, Dmitrii Grigorev ; Alcindoro / Benoît, Yuri Kissin ; Parpignol, Julien Desplantes.

Création le 1er février 1896 au Teatro Régio de Turin. Coproduction Opéra Grand Avignon et SNG Opera in Balet Ljubljana Éditions Luck’s Music. Durée : 2H30. Chanté en italien et surtitré en français.

Production dédiée à Claire Servais, metteuse en scène disparue en 2023.

Opéra Grand Avignon, Place de l’Horloge, 84000 Avignon. Vendredi 28 février 2025 – 20h ; Dimanche 2 mars 2025 – 14h30 ; Mardi 4 mars 2025 – 20h

Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/la-boheme-puccini

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