Lorsqu’il était enfant, Alain Pierre, fondateur du septet de jazz Les 5000 doigts du Docteur K et directeur musical de ce spectacle, avait dans sa chambre un tourne-disque et des disques. Il en aimait un particulièrement à cause de sa pochette et des titres énigmatiques des morceaux. Il s’agissait de Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgsky. Aucune piste pour y trouver une histoire. Devenu adulte Alain Pierre l’a donc inventée en revisitant les titres de chaque tableau, en jouant la musique de Moussorgsky arrangée en jazz et en se laissant aller à son imagination pour créer des morceaux originaux.
Moussorgsky avait écrit cette œuvre après avoir été visiter l’exposition des tableaux d’un de ses amis, Viktor Hartmann, mort une année plus tôt. La plupart de ces tableaux ont disparu. Restent la musique où le réalisme côtoie le fantastique et les contes traditionnels, et les titres des tableaux qu’Alain Pierre a tissé pour en faire un conte musical.
Tout commence en 1917 quand un certain Modest Moussorgsky, pas le compositeur mais son petit-fils, gardien au Musée de Saint-Pétersbourg, se réveille après s’être endormi sur sa chaise et découvre que dix tableaux ont disparu. Craignant la colère de Lénine et l’exil en Sibérie, il se met en quête des tableaux dans un voyage qui le mènera des Tuileries au marché de Limoges, mais aussi dans un monde fantastique à la poursuite d’un petit gnome ou dans la cabane sur des pattes de poule de la sorcière Baba-Yaga. De Paris à New-York il lui faudra même résister à Méphistophélès et se mettre à peindre pour pouvoir regagner son musée et retrouver les tableaux au complet.
Modest est incarné par un comédien Olivier Clénet qui déplace sur la scène sa silhouette d’homme du peuple des années 20, vêtu d’un costume bleu fatigué et coiffé d’une casquette. Il s’assied, s’endort, se promène en écoutant une conversation, s’arrête pour observer les jeux d’enfants ou fuit les dangers et court après les tableaux disparus. En fond de scène se succèdent les dessins de quatre dessinateurs avec chacun leur style. Le palais de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg livre avec minutie les détails de son architecture, un petit gnome sur un tricycle semble tout droit sorti d’un dessin animé, le voyage en barque du héros, où seul son costume bleu tranche sur les arbres aux racines inquiétantes parées des couleurs de l’hiver, apporte une note nostalgique. Modest se retrouve même avec son petit costume bleu à Ellis Island dans un film en noir et blanc. Dans cet univers pictural passent aussi les grands noms de la peinture russe de ce début de XXe siècle, Soutine, Chagall, Malevitch et Kandinsky.
On vagabonde du conte à la musique avec humour (« Modest n’a pas trouvé grand-chose à Limoges. Le mieux à faire pour passer le temps c’est d’écouter de la musique! » dit le narrateur). Le saxophoniste Alain Pierre s’immisce dans l’histoire à la poursuite de Modest. Les quatre musiciens, (Alain Pierre au saxophone et à la flûte, Bertrand Dabo à la batterie, Jean-François Vincendeau à la contrebasse, et Thomas Mayeras au piano et à l’orgue), habitués à tisser avec talent des relations entre les différents styles de musique, glissent en douceur de Moussorgsky au jazz. Le tempo de la musique épouse le rythme des tableaux, course poursuite ou moments nostalgiques.
Adultes et enfants se laissent emporter par ce spectacle magique et poétique, qui fait appel à tous les sens. C’est magnifique !
Micheline Rousselet
Le 23 octobre au Théâtre d’Angers, Place du Ralliement
Le 7 février à l’Espace Capellia à La Chapelle sur Erdre (44)
Autres dates à suivre
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