Un centre pénitentiaire, un projet de réinsertion, un opéra audacieux qui entraîne avec lui son orchestre national. Un metteur en scène hardi et aguerri qui ose « récidiver », une chorégraphe entraînée dans la danse, un DJ qui sample très jazzy, un coach de boxe et huit détenus en longues peines et quelques autres larrons… Au final, un opéra en trois actes dont le livret écrit collectivement en prison raconte l’histoire d’un combat annoncé pour la fin mai. La vie comme combat, contre et pour soi ; les autres, non plus adversaires mais coéquipiers, complices d’une évasion par la création.

Douze cordes, c’est les trois cordes d’un côté du ring multipliées par ses quatre côtés. Boxer pour vivre mais aussi boxer avec des mots, du son, du geste, de la lumière, du jeu. A celui qui en répétition se plaint de s’être époumoné sur le punching-ball, le coach, Careem Ameerally répond « mais qui t’as dit de frapper si fort ? » À la table d’écriture, le metteur en scène, Hervé Sika lui demande : « Pourquoi t’as frappé si fort ? » Ça doit bien sortir par quelque part… Le DJ, Junkaz Lou, la chorégraphe Mariana Gomes proposeront de slamer et de danser au lieu de cogner, ça fait moins de mal, voire carrément du bien ! Le circassien Mawu’nyo fera tourner sa roue dans la quadrature du ring, histoire d’arrondir les angles ! Tonton Freud parlait de la « sublimation des pulsions dans l’art », le résultat peut aussi donner du sublime artistique.

Et ce n’est pas tout ! Produire un opéra en établissement pénitentiaire, c’est aussi articuler le dedans et le dehors, ouvrir le dedans pour y faire entrer le dehors, créer du transindividuel, du lien social entre ceux qui ne sont pas censés se rencontrer, inventer une synergie créatrice rare. Pour cela, il faut aussi une institution au vrai sens du mot, ce que les humains instituent pour faire société. Pourquoi pas l’Opéra Grand Avignon et le volontarisme de son directeur Frédéric Roels engagé pour les Droit culturels : pas seulement faire des spectacles pour associer acteurs et publics dans des interactions qui portent le projet d’une autre sociabilité que celles des normes d’exclusion et de cloisonnement. Avec l’Opéra, c’est aussi son personnel musicien qui prend part à cette évasion sans effraction. Puisqu’on parle de cordes, un quatuor à cordes constitué de musiciennes de l’orchestre viendra s’agréger au projet.

Mais la distribution ne serait pas complète si on oubliait cette autre institution qui s’efforce de faire du lien pour ceux qui sont en rupture de ban, à savoir le Centre pénitentiaire Le Pontet-Avignon, avec à sa tête Alexandre Bouquet, un directeur ouvert et dynamique. Il faut aussi souligner l’engagement total du SPIP, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation 84 (Vaucluse-PACA) et son directeur Nicolas Roches.

Hervé Sika est un récidiviste mais pour la bonne cause ! Douze cordes a déjà été créé au Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin en Seine-et-Marne. Pour autant, la récidive ne saurait être une simple reprise. Plutôt une recréation, d’autres cieux et lieux, d’autres personnes, une autre écriture, une nouvelle aventure. Sika, également danseur et chorégraphe venant du hip-hop a plus de douze cordes à son arc ou son art. En conférence de presse, après une répétition dans le gymnase de la prison, à la question de l’éventuelle frustration qu’il y aurait à faire autant d’efforts pour deux représentations seulement, une première dans les murs face à la presse et aux codétenus et une seconde hors les murs devant un public, l’artiste répond que « Oui, ça en valait la peine ! ». Pour lui, une telle expérience « augmente en chacun son capital d’humanité vraie », à commencer par les huit interprètes qui ont relevé le défi. Pas facile pour eux d’endosser des rôles qui les sortent de leurs personnages figés de détenus en exigeant d’eux une performance professionnelle face au regard de la société. Du regard judiciaire au regard artistique, lequel est le plus difficile à affronter ? Le premier était attendu du fait de leurs agissements hors-la-loi, le second advient comme révélateur de leur potentiel humain. L’écart est immense. Se dépasser, réfléchir sur soi, questionner la faiblesse de la force musculaire et la force des fragilités intimes. Travailler sur la violence possible de l’humain, sur son dépassement et sur une réparation relationnelle, une resocialisation réparatrice, autant de sommets à gravir en quelques mois et sans corde de rappel.

Et puis, qui sait, ces Douze cordes auront peut-être un avenir théâtral à condition de renommer le spectacle Douze guindes comme en rigole Sika qui ose imaginer qu’une fois les interprètes sortis de taule, ils pourraient le reprendre en hommes libres…

Une belle proposition de la Compagnie Mood/RV6K qui nous donne rendez-vous fin mai en Vaucluse.

Jean-Pierre Haddad

Opéra Avignon- L’Autre Scène. Av. Pierre de Coubertin 84270 Vedène. Vendredi 31 mai 2024 à 20h00

Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/douze-cordes

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