Surprenante et séduisante, la mise en scène de ce Don Giovanni par Frédéric Roels, directeur de l’opéra, a été largement applaudie, voire plébiscitée. Son originalité renouvelle la vision de cet opéra de Mozart pourtant maintes fois monté. Avec Roels, Don Giovanni devient une sorte d’électron libre, un tourbillon fait certes, de libertinage, mais aussi d’anarchisme individualiste et d’une bonne dose de frivolité. Tout cela semble le rendre plus attachant encore. Les femmes qu’il abuse, trompe et abandonne n’ont de cesse de le rechercher et pas seulement pour se venger ! Il désire plus qu’il aime car il aime désirer et se faire désirer. Et l’animal y parvient sans mal. En même temps, ce Giovanni est fragile. Il virevolte partout, de séduction en séduction mais tout saut comporte un risque de chute. Insincère, il l’est d’abord avec lui-même, car son désir et donc son être est oublieux. C’est un prédateur mais aussi une proie. Victime de son désir erratique, il est en proie à l’amour possessif des femmes qu’il séduit et qui le poursuivent sans relâche. Roels met en scène et en avant le fait souvent inaperçu que ce sont les femmes qui mènent le livret de cet opéra plein d’ambiguïtés. Ici, le désir est aliéné et aliénant, une servitude excitante et déprimante, le repos de la satisfaction est un horizon fuyant.

Le lever de rideau nous transporte dans les rues d’une Naples qu’il faut soutenir par des étais – l’écroulement guette ! Intrigues dans la pénombre, costards blancs ou noirs, chapeaux qui tombent sur le regard, vestes en cuir, Don Giovanni fait un parfait mafioso des cœurs. Des femmes jalouses, Masetto en scooter rutilant avec Zerline en amazone, des couteaux vite dégainés et aussi des flingues qui savent rester silencieux, juste pour intimider. Leporello imite le touriste mais en fait, il documente avec son appareil reflex, tous les faits et gestes de son maître. Le visionnage numérique remplace le dépliant (ou leporello en italien) que le valet tient à jour des conquêtes de son maître. Il s’en passe dans ces rues étroites, bousculades, escapades, reculades, retours de flamme ou du refoulé. À jardin, une cabine téléphonique ressuscitée tient lieu d’abri mais le refuge est transparent, on s’y retranche à la vue de tous ! On peut aussi y fricoter ou flirter mais forcément dérangé. C’est joyeux et pathétique à la fois, d’autant que l’on sait bien que la fuite d’Éros se terminera en banquet avec Thanatos.

Mais que serait ce Don Giovanni sans l’interprétation de rêve du baryton français d’origine argentine, Armando Noguera, œil de velours, sourire gourmand, corps agile et délié, voix charmeuse au-delà du rôle ! Une chance que sa brillantissime carrière internationale puisse passer par Avignon. Le reste de la distribution est tout à fait remarquable, comme la soprano originaire d’Albi, Gabrielle Philiponet qui, dans le rôle de Donna Anna donne à entendre le sens profond du déchirement entre désir et dépit. La basse de Tomislav Lavoie en Leporello, offre un contre-pieds vocal intéressant face à la légèreté de ce Don Giovanni très à l’aise dans le haut de sa tessiture.

Autour d’eux, Lianghua Gong, Mischa Schelomianski, Anaïk Morel, Aimery Lefèvre, Eduarda Melo et le chœur de l’Opéra Grand Avignon. Un Orchestre national Avignon Provence brillamment dirigé par sa cheffe Débora Waldman qui de bout en bout de l’œuvre, peut suivre des lèvres la partition chantée.

Magnifique ouverture de saison opératique pour l’Opéra Grand Avignon qui fête cette année son bicentenaire.

Jean-Pierre Haddad

Opéra Grand Avignon, Place de l’Horloge, 84000 Avignon. Vendredi 10 octobre 2025 à 20h00, dimanche 12 octobre 2025 à 15h00 et mardi 14 octobre 2025 à 20h00.

Prologue : 45 minutes avant la représentation, un éclairage sur l’œuvre. Entrée libre sur présentation du billet. Répétition publique : Vendredi 3 octobre 2025 à 20h00. Entrée libre sur réservation .

Retransmission sur écran géant gratuite : vendredi 10 octobre 2025 à 20h15, L’Autre Scène à Vedène et Place Saint-Didier à Avignon. Site officiel : https://www.operagrandavignon.fr/don-giovanni

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