L’opéra de Mozart est au panthéon de tous les amateurs d’opéra. On pense le connaître par cœur et pourtant cette création où se sont associés le directeur musical Julien Chauvin avec Le Concert de la Loge et le metteur en scène Jean-Yves Ruf nous enthousiasme comme si on le découvrait.
Jean-Yves Ruf avait déjà mis en scène Don Giovanni. Il y revient et le relit après #MeToo pour faire un portrait plus fin de Don Giovanni et de ses conquêtes. Don Giovanni d’abord qu’il convient de montrer avec ses contradictions, son intelligence au service de l’accomplissement de ses fins et son refus de céder, mais aussi son cynisme, son absence d’empathie pour les femmes, qu’il trompe allègrement, comme pour son valet Leporello, qu’il ne cesse de mettre en danger en l’asservissant à ses désirs. Les femmes ensuite. Avec Donna Anna, Don Giovanni ne parvient pas à ses fins, il ne parvient qu’à tuer son père. Quant à Zerlina si elle est bien prête de céder, un peu éblouie par ce gentilhomme qui lui promet monts et merveilles, elle se méfie et réussit à gagner du temps, utilisant en fine mouche son amoureux Masetto, tout en évitant de trop le mettre en danger.
La belle idée de la mise en scène est de laisser l’orchestre au plateau bien visible et c’est très beau. C’est Leporello qui se faufile au milieu des instruments, disant qu’il ne veut plus servir ou Don Giovanni qui s’assied à côté du premier violon tandis que Leporello compte ses conquêtes. Les musiciens eux-mêmes deviennent partie-prenante du récit, se masquant comme s’ils étaient des invités de la fête qu’organise Don Giovanni. Un escalier mène à une passerelle au-dessus du plateau où se déroulent les rencontres des nobles et où le piège peut parfois se refermer sur Donna Anna ou sur Don Giovanni. Le passage d’un espace à l’autre offre une dynamique passionnante au jeu des chanteurs. C’est sur la passerelle qu’apparaît le Commandeur et sur le plateau que Don Giovanni mourra.
La partition musicale est assurée par le Concert de la Loge fondé il y a bientôt dix ans par Julien Chauvin avec le souhait de faire revivre une formation célèbre du XVIIIe siècle qui portait ce même nom. C’est Laurent Muraro qui le dirige ici, tout en jouant le rôle de premier violon. Le fait que l’orchestre soit sur le plateau et non dans une fosse favorise l’interaction entre les musiciens et les chanteurs.
L’ARCAL qui a produit le spectacle a fait le choix de la jeunesse. La moyenne d’âge des interprètes est de 30 ans. En longue redingote noire, Timothée Varon incarne un Don Giovanni sombre, séducteur mortifère sûr de son rang. Adrien Fournaison dépasse le caractère comique souvent attaché à Leporello en laissant voir la complexité du personnage, attaché à son maître, dont il se verrait bien en double, et en même temps tentant d’échapper à son statut de serviteur. Margaux Poguet campe une Donna Elvira, qui n’est pas que douleur de femme abandonnée, mais revendique fièrement son droit à être reconnue et aimée encore. Marianne Croux incarne Donna Anna, attachée à venger son honneur et son père assassiné, exigeant de son fiancé Don Ottavio (Abel Zamora) qu’il tue Don Giovanni. Michèle Bréant est une Zerlina magnifique. Menue, rusée, tentée puis fuyante, elle incarne à la perfection cette jeune paysanne qui cherche et trouve la voie pour échapper à Don Giovanni tout en protégeant son fiancé, Masetto (Mathieu Gourlet). Nathanaël Tavernier en Commandeur complète la distribution.
Un magnifique Don Giovanni porté par une mise en scène fine et une distribution pleine de jeunesse et de fougue.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 23 novembre au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 4 square de l’Opéra louis-Jouvet, 75009 Paris – du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h – Réservations : 01 53 05 19 19 ou www.athenee-theatre.com – Reprise à l’Opéra de Massy les 13 et 16 décembre à 20h et le dimanche 14 à 16h, 17 et 18 janvier à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, du 24 au 26 avril à l’Opéra Clermont Auvergne
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