L’action se déroule en Russie. Non, pas en février 2022 mais à la toute fin du 16e s. et au début du 17e. Pour parvenir au pouvoir et devenir tsar, un homme n’hésite pas à se faire complice du meurtre de l’héritier légitime de la couronne. Non il ne s’agit pas d’un autocrate contemporain mais de Boris Godounov, personnage inspiré de Pouchkine. L’opéra de Modeste Moussorgski est histoire d’un usurpateur qui sera puni et même terrasser par sa propre folie paranoïaque. Mais doit-on toujours attendre l’effondrement naturel des dictateurs ? D’ailleurs, dans le livret, un opposant aidé d’une princesse polonaise marche sur Moscou pour renverser Boris Godounov… La sanction de l’histoire peut accélérer celle de l’ambition démesurée. Il y a quelque chose de shakespearien dans ce drame.
« Ceci est une œuvre de fiction et toute ressemblance avec des personnes réelles ne peut être que fortuite »… Certes mais sous le hasard, il y a la nécessité avec ses effets détournés ou inattendus : le musicien lui-même n’est pas étranger à la thématique de l’héritage de classe sauf que dans son cas il préféra l’évitement. Alors que sa famille qui descendait de la dynastie des premiers monarques russes le destinait à une carrière militaire prestigieuse, Modeste Moussorgski rejoignit le Groupe des Cinq, un ensemble de compositeurs, ardents défenseurs d’un art national basé sur la musique populaire russe. Incompris ou pas reconnu, Moussorgski (1839-1881) n’eut pas une carrière musicale facile. À cela s’ajoutait des problèmes de santé dus à un alcoolisme qui l’emporta encore jeune. Ce musicien considéré avec mépris comme un « primitif » ou un « sauvage » était en fait très cultivé. Poète et penseur, il avait une conception personnelle et recherchée de son art. L’opéra populaire qu’est Boris Goudonov en témoigne dans ses vastes fresques musicales qui confèrent à l’orchestre et à la voix un rôle non conventionnel par rapport à l’opéra italien ou allemand. Tragédie de l’impuissance du pouvoir royal, l’œuvre est musicalement puissamment travaillée.
Cette œuvre profondément russe sera dirigée par Dmitry Sinkovsky assisté d’Ivan Velikanov. Chef de Chœur, Alan Woodbridge et mise en scène Jean-Romain Vesperini dont le parti-pris de coller à la sensation d’un destin en marche assure une fluidité dans les enchaînements des sept tableaux et quatre actes de ce chef d’œuvre.
Dans le rôle-titre,Luciano Batinic, dans celui de Féodor Estelle Bobey et dans celui de Xénia, Lysa Menu. Andreï Chtchelkalov sera interprété par Jean-François Baron et Pimène par Nika Guliashvili.
Jean-Pierre Haddad
Opéra Grand Avignon, Place de L’horloge, Avignon 84000. Vendredi 14 juin 2024 à 20h et dimanche 16 juin 2024 à 14h30. Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/boris-godounov
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