Thierry Maillard, pianiste et compositeur, nous avait habitué à marier le jazz et la musique classique via des quatuors à cordes. Il s’inspirait d’une vogue qui fut celle du milieu des années 50 et qui perdura dans certains endroits comme le Conservatoire de Boston avec Ran Blake, pianiste superbe qu’il ne faut pas ramener uniquement à ce troisième courant.
Third Stream, troisième courant une dénomination pour signifier la volonté de ses défenseurs de fusionner, « coller » serait sans doute plus juste, musique classique – baroque surtout, qui partage avec le jazz l’absence de définition précise – et jazz. John Lewis, pianiste, compositeur et fondateur du Modern Jazz Quartet (MJQ pour les intimes) illustra tout au long de sa vie cette tendance. Les échecs furent nombreux mais il en ait de magnifiques. La musique ne se mesure pas à sa capacité de réussite mais à l’exploration des possibles.
Dans cet album, « The Kingdom of Arwen » -un personnage du « Seigneur des Anneaux » de J. R. R. Tolkien -, un royaume imaginaire qui a des règles circonscrites pour créer un nouvel univers mouvant, Thierry Maillard fait un pas de plus dans le collage. Il ajoute les dites « musiques du monde » pour des compositions personnelles pour piano, orchestre symphonique – celui de Prague en l’occurrence dirigé par Jan Kucera – percussion et autres instruments. Ces derniers signent le type de musique du monde, celle de l’Europe de l’Est bien sûr mais aussi beaucoup d’autres, grecque, turque, arabe… Taylan Arikan joue du baglama, un instrument qui tient autant du oud que du bouzouki soit à cheval entre la Grèce et la Turquie cependant que Didier Malherbe utilise, à son habitude, le doudouk. La voix de Marta Klouckova apporte à la fois les touches opéra et musique d’Europe de l’Est. Dominique Di Piazza, omniprésent, fait une nouvelle fois la preuve de sa virtuosité et de son sens de l’opportunité. Yoann Schmidt installe la batterie, l’instrument emblématique du jazz, comme un répondant à l’orchestre symphonique. Basse et batterie font entendre le murmure du temps – une assise fondamentale – pour laisser le piano s’envoler de temps en temps. Le trio arrive à rester vivant face au poids de cet orchestre et de la profusion d’instruments. Il est aidé par Nguyên Lê dont la guitare entre Jimi Hendrix et le Viêt-Nam ne s’en laisse pas conter pour construire d’autres chemins invisibles.
Un curieux patchwork il faut bien l’avouer qui a de la peine à convaincre. Il est des moments de grâce mais ils sont trop rares. Difficile de faire bouger orchestre symphonique et le reste. Le piano a du mal à s’échapper de ce carcan que le compositeur a construit.
L’enregistrement comme les concerts – jusqu’au 15 décembre, ils seront en tournée qui les a conduit en Russie puis en Corée du Sud avec le Korean Symphony – voient la réalisation d’un rêve, celui de Thierry Maillard. C’est déjà bien. En public, il faut le croire, il se passe quelque chose. J’attends avec impatience de les voir sur scène. L’album laisse un arrière goût d’inachevé.
Nicolas Béniès.
« The Kingdom of Arwen », Thierry Maillard, Naïve
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