Miki Yamanaka, pianiste, compositrice, chef de groupe a réussi le tour de force de s’inspirer de toutes les mémoires du jazz pour les dépasser et offrir une musique de notre temps sans tomber dans l’anecdote ou la citation gratuite. « Shades of Rainbow », le titre de son album, dit bien le contenu. Les ombres de l’arc-en-ciel dessinent les contours d’une musique capable d’évoquer les musicien.ne.s du jazz sans jamais forcer le trait. Le passé, la tradition est convoquée pour être bousculée, triturée pour la faire entrer dans la modernité, pour faire surgir d’autres dimensions, d’autres structures, pour imaginer d’autres voies, pour s’ouvrir vers d’autres sons.
Elle réussit à provoquer le frisson qui laisse penser qu’il s’agit bien d’entrer dans une autre dimension. C’est rare. Une expérience qu’il faut faire. Son quartet lui offre cette capacité. Mark Turner, aux saxophones, fait la preuve de sa hardiesse en offrant une synthèse allant de Warne Marsh – saxophone ténor de « l’école » Tristano à Albert Ayler en passant bien sur par Coltrane. Comme la pianiste, il sait jouer des ombres, des fantômes qui viennent lui proposer leur concours tout en les dépassant par sa sonorité originale. Tyrone Allen bassiste est le pourvoyeur de la propulsion nécessaire au groupe et Jimmy MacBride, batteur et percussionniste, sait évoquer, lui aussi, toutes les figures de la batterie, attentif aux autres comme capable de tenir sa place d’interlocuteur à part entière pour épouser toutes les nuances de la compositrice.
Le groupe a aussi bénéficié de l’air de New York, de tous les sons que la Ville trimbale dans cette crise qui est la sienne après la pandémie. Une musique en résonance avec notre temps incertain et inédit.
Nicolas Béniès
« Shades of Rainbow », Miki Yamanaka quartet, Cellar Live Records
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