La collection des grands concerts parisiens propose d’entendre Count Basie pour des concerts enregistrés à l’Olympia en 1957, au Palais de Chaillot en 1960 – il faut lire la description de l’arrivée massive de ces êtres dégénérés, en habits impossibles à décrire, se vautrant sur les fauteuils devant le regard effaré des ouvreuses habituées aux habits de soirée que fait Julio Cortazar dans les Cronopes et les Fameux – et encore à l’Olympia en 1962 dans le cadre des émissions d’Europe 1 « Pour ceux qui aiment le jazz » de Franck Ténot et Daniel Filipacchi. Des ambiances souvent survoltées, une communion entre l’orchestre et les publics, une musique toujours jeune. Michel Brillié – co-dirigeant de cette collection avec Gilles Pétard – s’essaie à tracer un portrait de Basie trop flou, trop imprécis. Il ressort de ce texte un enthousiasme pour l’art du chef d’orchestre et pianiste, maître du tempo, qui fait plaisir à lire sans que les informations réunies ici soient suffisantes.
« Basie Count 1957 – 1962, live in Paris, La collection des grands concerts parisiens », coffret de deux CD, Frémeaux et associés.
Vous êtes-vous demandé, un jour de grande solitude, pourquoi la musique « Zydeco » s’appelait comme ça ? Si oui, cette compilation est pour vous et vous n’avez besoin de pas plus d’information pour danser sur ces airs entraînants. Sinon, il vous faudra d’abord lire le livret de Jean Buzelin pour découvrir que les Français de la Louisiane, les Acadiens plus tard les Cadiens devenus par on ne sait quelle alchimie les Cajuns, ont conçu une musique spécifique provenant de leur communauté ouverte. Ils ont assimilé des Allemands qui leur ont apporté l’accordéon diatonique et des Africains déportés comme eux. Cette confrontation du blues et de la musique venue de France a créée cette nouvelle forme appelée z’haricots déformée en Zydeco. Ce coffret de deux CD permet d’accéder à ce monde via les ancêtres pour arriver à l’incarnation de cette musique Clifton Chénier. Il est recommandé de danser…
« Zydeco, Black Creole, French Music & Blues, 1929 – 1972 », livret de jean Buzelin, Frémeaux et associés.
Enrico Pieranunzi, né à Rome, est l’un des grands pianistes d’aujourd’hui dans la lignée de Bill Evans mais aussi de tous les grands navigateurs en mer haute pour partir toujours plus loin vers des routes imaginaires pour éviter la routine et construire d’autres mondes. L’âge n’a apparemment pas de prise sur sa volonté d’expérimenter. Ici, il est en compagnie de 3 jeunes – et un peu moins jeunes – musiciens américains, Ralph Alessi à la trompette, Donny McCaslin au saxophone ténor et soprano et Matt Penman à la basse pour un quartet sans batterie. Des expériences de ce type ont déjà eu lieu mais rarement dans cette configuration. « Proximity », le titre de cet album, veut démontrer que, par-delà l’Atlantique, des expérimentations communes sont possibles, que la différence est une chance. Une belle leçon.
Une musique actuelle, un peu hermétique qui suppose plusieurs écoutes avant de pouvoir réellement la goûter et qui restera comme une tentative intelligente de renouveler notre écoute.
« Proximity », Enrico Pieranunzi, CamJazz distribué par Harmonia Mundi
Frédéric Borey est saxophoniste ténor, fondateur d’Unitrio, de Lucky Dog et se trouve à la tête de 5 albums en tant que leader, la plupart dur le label Fresh Sound. Un CV qui pose. Pourtant, il ne se laisse pas enfermer dans son passé. Pour ce nouvel opus, « Wink » – clin d’œil – il a voulu visiter quelques « standards » du jazz. Standards ? Barney Wilen, il m’en souvient d’une interview dans laquelle j’avais employé ce terme sans y penser à mal, n’aimait pas ce mot qu’il jugeait incapable d’être un concept. Un terme qui reste dans notre vocabulaire faute d’un autre.
Standards pour dire que ces chansons, ces compositions appartiennent à notre patrimoine, qu’ils savent transbahuter avec eux quelques-unes de nos émotions les plus profondes. Que les arranger, c’est leur donner une nouvelle jeunesse pour les enfouir et leur donner ainsi une signification actuelle. Pour réaliser ce tour de force, il s’est entouré d’un aréopage aussi bizarre qu’efficace. Michael Felberbaum, guitariste venu d’Italie, Leonardo Montana, pianiste de cette Bolivie qui fait beaucoup parler d’elle – en bien – ces derniers temps, Yoni Zelnik, bassiste issu de la scène israélienne mais qui s’est installé en France et Frédéric Pasqua, batteur français mais qui semble avoir quelques accointances avec la Corse, mêlent et emmêlent leurs références, leurs influences pour construire des échappées qui s’inscrivent dans les rêves du saxophoniste/arrangeur. Curieusement l’album commence par « Witchcraft » – une fournée de sorcières – et se termine par « Boplicity », un bop transformé par Miles Davis en « cool » et revu par Borey, un sorcier, pour lui faire rendre toute sa modernité.
Une sonorité de saxophone qui doit beaucoup à Warne Marsh et à l’école de Lennie Tristano, une inspiration toujours renouvelée, une manière de refuser toute platitude pour construire un discours cohérent et ouvert. Si les publics ont les oreilles en bon état de marche, ils devraient accueillir cet album comme un de ceux qui pourraient devenir leur disque de chevet…
« Wink », Frédéric Borey, Fresh Sound.
Un Big Band ? Une gageure. Même réduit à 10 musiciens, il faut trouver le temps de répéter, de réunir les musiciens – tiens, c’est vrai, il n’y a pas de musiciennes – pris par ci par là, courant le cachet pour survivre ou absorbés par des activités d’enseignement. Bref, cette réalisation, ce CD, est en elle-même un prodige. Appeler cet orchestre « Tante Yvonne » pouvait soit déclencher des rires soit l’ire de ceux qui se souviennent – mais ils sont de moins en moins nombreux – de l’épouse du général de Gaulle. Ce peut-être aussi, si on cherche bien, un tripot où le jazz pourrait servir de barman et de patron.
Ils se sont lancés, presque sans filet pour des compositions signées par les deux trompettistes de ce groupe, Samuel Belhomme et Simon Deslandes et du claviériste, Manu Piquery, des compostions ouvertes pour permettre tous les dérapages, toutes les déconstructions, tous les cris face à un monde trop souvent inhumain. Tout est permis à condition de s’inscrire dans le projet commun. Une forme d’autogestion. L’énergie est la valeur qui fait passer toutes les approximations et permet, dans le même temps, de mêler sinon de rendre flou toutes les références, toutes les musiques issues du jazz et du blues. Comment la qualifier ? Free Jazz, Rock, Fusion ? Tout ça et autre chose sans doute que chacun(e) d’entre nous pourra y découvrir suivant son histoire et sa mémoire. Une mémoire qu’il faut faire jouer pour donner un corps à cette musique qui se refuse à toute frontière. Une sorte de transgression par les temps qui courent.
«Tante Yvonne », petit label, à Commander sur www.petitlabel.com
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu