Le Jazz At The Philharmonic est l’idée personnelle de Norman Granz. Avant d’être producteur de disques de jazz et créateur de labels indépendants – NorGran, Clef, Verve et Pablo -, il avait voulu ouvrir les Philharmoniques au jazz. Mis à part les concerts au Carnegie Hall, dès 1937 avec Benny Goodman, et surtout les « From Spiritual To Swing » de décembre 1938 et 1939 organisés par John Hammond, critique de jazz mais aussi membre d’une des grandes familles américaines, les Philharmoniques étaient fermées au jazz, considéré comme une musique de bordel.
Le 2 juillet 1944, Norman organise son premier concert avec la volonté de faire cohabiter, sur scène des styles, des musiciens différents pour faire surgir… on ne sait quoi. La lumière ? La nouveauté ? Le miracle ? S’il fallait choisir, j’opte à coup sûr pour cette dernière solution. Plus l’opposition était forte, mieux c’était…
En 1958 – le 30 avril – la formule était rodée. Le public parisien, clairsemé – la période est trouble, les coups d’État menacent, la IVe république est en train de mourir, la guerre d’Algérie fragilise la République – assiste à un concert qui réunit deux monstres sacrés, Coleman Hawkins, l’inventeur du saxophone ténor et Roy Eldridge dit « Little jazz », trompettiste capable de franchir toutes les limites pour gagner la première place – même s’il ne sait pas de quel concours il s’agit. Se rajoutent Sonny Stitt, saxophoniste alto et ténor, plus original au ténor qu’à l’alto, en tournée en France et que Norman a recruté pour l’opposer à Coleman Hawkins, un peu plus de sel dans les confrontations qu’il aime, et une section rythmique conduite par le pianiste Lou Levy avec Herb Ellis à la guitare, Max Bennett à la contrebasse et Gus Johnson à la batterie.
Norman Granz revient à Paris en 1960. Salle Pleyel, salle habituelle des concerts « classiques ». A l’époque, et elle durera jusque dans les années 1970, de temps à autre, les jeunes amateurs de jazz viennent perturber le rythme régulier des « gens biens », habillés « comme il faut » qui hantent ces lieux et font le bonheur des « ouvreuses ». Peu d’ouvreurs en ces temps reculés… Elles sont dépassées et abandonnent la lutte devant cet envahissement. Le jazz prend ses quartiers et habite différemment les fauteuils – non là, ils ne casseront pas – et les coins et recoins. Plus même, certain(e)s s’assoient par terre. Un scandale ! Ils se tiennent bien pourtant. Le 25 novembre, se retrouvent sur la scène, « Little Jazz » et « Hawk » – surnom de Coleman Hawkins, le faucon – en compagnie cette fois de Don Byas, saxophone ténor – voir la chronique récente qui lui est consacrée -, Benny Carter au saxophone alto, Lalo Schiffrin au piano, Art Davis à la basse et « Jo » Jones à la batterie, le grand père de la batterie moderne. De quoi nourrir tous les fantasmes. Le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur des espérances mais ce moment reste un grand moment, qu’il faut partager encore aujourd’hui.
Les enregistrements de ces concerts, sous l’égide de Daniel Filipacchi et Franck Ténot évidemment en plus de Norman, recèlent deux pépites. D’abord le groupe de Shelly Manne, prince des balais, batteur essentiel, « Shelly and his Men » – souriez, vous êtes filmés – composé d’un trompettiste superbe et né à Boston, Joe Gordon (mort dans un incendie en 1963, à 35 ans), d’un saxophoniste ténor appartenant aux Brothers, Richie Kamuca, d’un pianiste célèbre, Russ Freeman et d’un bassiste Monty Budwig, un habitué des formations de Shelly. Une performance qui ne cède en rien à celles réalisées au même moment aux États-Unis. Là, nous sommes le 23 février et nous nous sommes déplacés à l’Olympia.
La deuxième se passe le 25 novembre de cette année 1960, pour un retour salle Pleyel. « Dizzy » Gillespie, trompettiste, un habitué des JATP, propose, en quintet, une nouvelle version de la suite qu’il vient d’enregistrer en grand orchestre, composée par Lalo Schiffrin, « Gillespiana ». Une grande réussite. Signalons que cette prestation avait déjà fait l’objet d’un CD « RTE » en 1995 depuis longtemps disparu des bacs…
Enfin, ce coffret de 3 CD permet de faire des comparaisons. En 1958 et 1960, Diz rencontre Stan Getz et, à chaque fois, ça fait des étincelles…
Paris pouvait être une fête même dans un contexte de guerre, de fin d’un monde. Pour faire la démonstration une nouvelle fois que le jazz permet de se sentir bien contre le monde…
Nicolas Béniès.
« JATP, Jazz at the Philharmonic, 1958-1960 », collection « Live in Paris », présenté par Alain Tercinet, Frémeaux et associés.
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