Bien reposé et remis de votre concert avec le fantôme d’Horace Silver, il est possible de passer à une autre forme de jazz. Contemporaine et apparemment à l’opposé. Un triple CD du Modern Jazz Quartet (MJQ pour tous les intimes) recèle forcément des trésors.

culture/musique/jazz
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L’ambiance générale n’a guère changé en cette année 1960. Le 9 avril, le quartet conduit par John Lewis, pianiste et compositeur, s’installe à l’Olympia. L’entente entre le pianiste et Milt Jackson, vibraphoniste, inventeur du langage bebop sur cet instrument, Percy Heath, contrebassiste et Connie Kay – un pseudo pour éviter de prononcer un nom imprononçable -, batteur subtil et swinguant malgré les clichés, semble relevé du paranormal. Ils n’ont plus rien à prouver sinon la faculté inentamée d’atteindre à l’excellence.
John Lewis a balisé un parcours qui part de l’hommage à Django pour arriver à la Comedia del Arte en passant par « I Remember Clifford » – jamais enregistré, une composition de Benny Golson pour Clifford Brown mort à 26 ans – et « The Cylinder » mais aussi deux extraits de la bande originale du film de Roger Vadim « Sait-on Jamais » (« Odds against Tomorrow » de l’autre côté de l’Atlantique) pour un concert sans anicroches mais plein de surprises. John Lewis, dans une interview, affirmait que le quartet ne répétait jamais. Connie Kay disait-il – géant débonnaire – regardait la télé toute la journée… pour donner un exemple. Par contre, ils passaient beaucoup de temps à s’habiller, en smoking le plus souvent à l’exception de Milt Jackson quelque fois.
Ils reviennent le 4 novembre 1961. Dans le ciel de Paris, rien ne s’arrange. Pour le quartet, c’est aussi la guerre. Milt Jackson fait son Charlie Parker – avec qui il a joué. Il n’est pas présent sur scène pour le concert de 18 heures qui démarre avec plus d’une heure de retard. A l’époque, le public crie, proteste, exige. Il est un acteur qui sait à la fois participer et faire entendre sa voix. Il est passablement énervé de l’attente. Il faut bien pourtant que le trio comble le vide. John Lewis le fait remarquablement. Il est rare de l’entendre dans ce contexte difficile. Le « I can’t get started » – je ne peux pas démarrer – est un clin d’œil à une situation qu’il faut savoir gérer. Je devine que le vibraphone a dû être monté. Il n’attend que le vibraphoniste qui arrive, salué par les applaudissements, sur la reprise de « The Golden Striker », de la bande originale du film « Sait-on Jamais » pour une thématique ressemblant au premier concert, entre standards – y compris « Django » accède à ce statut – et la musique du film. Une manière d’entendre les différences et les capacités d »’imagination de ces quatre protagonistes. Disons en passant que le public a une affection particulière pour Milt, surnommé « Bag’s » pour les valise qu’il a sous les yeux…
Le deuxième concert de ce 4 novembre – c’est plutôt le 5 novembre, il se termine bien après minuit – ne connaît pas de problème sinon le fait que le public ratera le dernier métro et se trouvera obligé de rentrer à pied, en regardant aussi le ciel, tout en étant entouré de ces petites bulle du jazz qui rend la vie pleine de promesses contre le monde tel qu’il allait.
Le programme se fait plus contemporain par l’adjonction du « Lonely Woman » d’Ornette Coleman que John Lewis défend contre tous les détracteurs, au détriment de « Django » et autres pour se terminer sur une évocation, qui vise à sublimer les conflits entre John et Milt, de leur première rencontre au sein du Big Band de « Dizzy » Gillespie – en 1947 ! – par la reprise de « I Should Care ». Une manière de revenir au concert de 1960 qui reprenant ce même thème. Difficile de quitter le MJQ…

Nouveau break, il faut penser à préparer le repas…
Nicolas Béniès

« Modern Jazz Quartet, 1960-1961 », collection Live in Paris dirigée par Michel Brillié et Gilles Pétard, Frémeaux et associés distribué par Socadisc.

Petite note en forme de souvenir. Lorsque « Dizzy », en français « fou », « tourbillonnant », constitue son grand orchestre tous les futurs géants du be-bop son présents. A commencer par les deux précités, Milt Jackson, l’inventeur du vibraphone et John Lewis, arrangeur et amateur de la note plutôt que de la phrase. Jacques Réda, dans « L’improviste », remarque à juste raison et avec un sens de l’observation qui fait plaisir à lire que lorsque John improvise, il donne l’impression de retenir une grande envie de péter… Plus personne ne pourra le vérifier de visu sinon en regardant les bandes la réalité de cette observation.
James Moody est le saxophoniste de cet orchestre. Il a tellement d’idées que Martial Solal – dans « Ma vie sur un tabouret », entretien avec Franck Médioni, Actes Sud – dira qu’il en oubliait de jouer tellement il était pris par le flot qui sortait de ce saxophone. Moody restera en France – en Europe – une grande partie de la fin des années 40 et du début des années 50…
Kenny Clarke en fut aussi le batteur. Inventeur de la batterie moderne, il vivra longtemps dans la banlieue parisienne vêtu d’un béret et d’une baguette de pain. Il a fondé, avec Dante Agostini, une école de batterie qui a une influence sut les batteurs français de cette époque. Nous ne sommes pas très loin du MJQ puisque Kenny en fut le premier batteur et a longtemps partagé la scène et les studios avec Milt Jackson.

Une autre note en forme de référence. Le surnom de Milt, « Bag’s », a servi aussi à une composition de sa plume, « Bag’s groove » enregistré le 24 décembre 1954 par Miles Davis – qui fêtait son retour à la vie – avec Thelonious Monk, Kenny Clarke, Percy Heath, Milt bien sur. Un chef d’œuvre. Même si le « trou de Monk » sur « The Man I Love » du même jour a fait couler beaucoup de salive et d’encre. Cette session reste une des grandes réalisations du jazz. Qu’il ne faut pas hésiter à écouter et à réécouter. C’est la seule collaboration entre Miles et Monk…


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