Inspiré de la mythologie, celle de la déesse Cybèle mère des dieux, l’opéra Atys met l’amour au cœur de son intrigue. Amour refusé d’abord par Atys qui se drape dans une posture de sagesse : « J’aime l’heureuse paix des cœurs indifférents / Si leurs plaisirs ne sont pas grands /Au moins leurs peines sont légères. » (A. I, Sc. 2). Mais c’est par crainte de souffrir : « J’aime les roses nouvelles / J’aime à les voir s’embellir / Sans leurs épines cruelles / J’aimerais à les cueillir. » Atys qui sert le roi Célénus et Cybèle, est aimé de Sangaride qui doit cependant s’unir au Roi de Phrygie sous les auspices de Cybèle qui aime Atys… Le mariage est imminent et Atys qui se condamne lui-même à une mort prochaine, ouvre son cœur à son aimée : « Je meurs d’amour pour vous / je n’en saurais guérir ». Offenser un roi en même temps qu’une déesse-mère, c’est beaucoup, trop. La tragédie est nouée et ça ne peut que mal finir.
Mais l’art est là pour sublimer le malheur ! Plusieurs arts à la fois car une telle représentation est une œuvre totale : musique, chant, récit, dialogue, danse, lumière. En premier lieu, il y a la musique de Lully, brillante, aux mille reliefs, en particulier son ouverture à la française… Une version concertante de l’opéra mais la direction artistique assurée par Fabien Armengaud a fait en sorte que les solistes incarnent leur personnage et malgré l’absence de mise en scène, le jeu était presque là. Le ténor Mathias Vidal dans le rôle d’Atys met son talent et sa tessiture baroque de haute-contre au service d’accents de plus en plus marqués par le tragique de sa situation ; il est tiraillé, coupable, révolté, déterminé dans le sacrifice. La soprano Sandrine Piau en voix de dessus, incarne merveilleusement une Sangaride amoureuse mais égarée, angoissée par l’emprise patriarcale du roi. Cybèle, en voix de bas-dessus est admirablement interprétée par la soprano Véronique Gens qui fait entendre en mezzo toute l’autorité de la déesse. Quant au baryton Tassis Christoyannis, il parvient avec brio à faire résonner la voix de basse de Célénus, outré puis colérique. Dans la fosse, l’orchestre de l’Opéra Grand Avignon est dirigé par Alexis Kossenko qui guide également l’ensemble baroque des vents. Un travail d’archives a montré que ces derniers se produisaient à l’époque directement sur scène. Les instrumentistes y apparaissent chaque fois que la partition les appelle. Pour l’occasion et suite à des recherches entreprises par le Centre de Musique Baroque de Versailles, un consort de hautbois et de cromornes a été reconstitué avec des instruments fidèles à ceux utilisés par Lully en 1676 à Saint-Germain-en-Laye lors de la création de l’œuvre devant Louis XIV. Côté chœur, Les Ambassadeurs – La Grande Écurie se sont déplacés avec les Chantres et les Pages du CMBV au grand complet, eux aussi sous la direction musicale d’Alexis Kossenko.
Et le ballet ? Il faut saluer la chorégraphie de Victor Duclos et bien sûr les danseuses et danseurs du corps de ballet de l’Opéra d’Avignon. Plutôt que tenter des menuets anachroniques, le parti-pris a été de proposer une grammaire dansée contemporaine mais avec de belles et subtiles références à la chorégraphie baroque en vigueur sous Lully. La danse n’est pas en acte en permanence, parfois les douze danseuses et danseurs tiennent sur scène le rôle d’un « chœur visuel ». Elles et ils regardent et suivent des yeux les chanteuses et chanteurs raconter l’histoire avec ses rebondissements. Puis la danse reprend, transformant l’espace normé du ballet de cour, en cour à danser librement. Parfois apparaissent d’humaines sculptures baroques. La modernité du ballet et de ses costumes « baroqués » par leurs coloris, leurs textures et leur fantaisie – costumes réalisés par l’Atelier de l’Opéra Grand Avignon – cette modernité bienvenue s’accorde parfaitement avec celle des couples de danse faits d’un homme et d’une femme mais aussi de deux hommes ou de deux femmes. Cette vision du couple très actuelle a cependant sa référence antique puisqu’elle correspond exactement au mythe d’Aristophane tel qu’il est présenté dans le Banquet de Platon par le poète comique lui-même. Comment mettre en scène aujourd’hui un opéra d’hier dédié à l’Amour universel et à son pouvoir sur les corps et les esprits sans faire place à toutes les humaines amours possibles ?
Atys est le premier personnage de tragédie lyrique à mourir sur scène, mais l’art lyrique a le pouvoir de le faire ressusciter et renaître dans des formes renouvelées, au moins jusqu’à la pénultième scène du cinquième acte !
« Mais malgré la mort cruelle / L’amour de Cybèle / Ne mourra jamais./ Sous une nouvelle figure, / Atys est ranimé par mon pouvoir divin ; » répète Cybèle dans la dernière. Le « pouvoir divin » est ici celui de la culture et de la création artistique. Cet Atys nous offre une nouvelle métamorphose à ne pas manquer!
Jean-Pierre Haddad
Opéra Grand Avignon, Place de l’Horloge, 84000 Avignon. Dimanche 10 mars à 14h30.
Tournée : Théâtre municipal Raymond Devos, 59200 Tourcoing ; le dimanche 17 mars à 15h30. Version concert et ballet. Théâtre des Champs-Élysées, 75000 Paris, le mardi 26 mars à 19h30. Version concert.
Centre de musique baroque de Versailles : https://cmbv.fr/fr/evenements/atys
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