
« Car nous avons été enfants avant que d’être hommes » disait Descartes pour justifier la nécessaire et radicale remise en question des préjugés de l’enfance. Admettons, mais enfants, d’où nous venaient la quasi-totalité de ces préjugés ? Des adultes pardi ! Alors qu’il était, en plus de professeur de mathématiques, très conservateur en politique et en morale, Lewis Carroll (1832-1898) crée le personnage fantasque et audacieux d’Alice. Il en fait même une aventurière au pays imaginaire de la fantaisie et de la logique poussée jusqu’au non-sens. Les jeux de mots ou d’esprit d’Alice au pays des merveilles ont quelque chose de très sérieux, comme les Surréalistes se proposaient de l’être en faisant du rêve le principe d’appréciation et d’évaluation d’une réalité sociale normée à l’excès par des idées arbitraires ou fausses.
Dans la fable d’Alice tout ce qui semble fou nous invite, en miroir, à nous interroger sur la folie du monde des adultes mais en adoptant une lucidité enfantine, naïve et fraîche, non corrompue – chose que Carroll ne fit surtout pas durant sa vie de citoyen anglican et britannique. A croire que la fiction était bien pour lui une évasion…
Dans ce spectacle musical et familial aux multiples facettes, saturé de magie, d’humour et de féerie, Matteo Franceschini et Caroline Leboutte subliment avec une infinie richesse esthétique l’inquiétante étrangeté que les enfants sont tôt ou tard amenés à interroger. Il et elle nous enjoignent également à cultiver cet esprit questionneur et rebelle dont Alice est l’emblème, à ne jamais cesser de remettre en question les normes établies.
Finalement la leçon de Descartes est sauve : il faut savoir douter de tout y compris de ce dont lui-même n’a pas su douter comme l’existence d’un Dieu créateur et l’immortalité de l’âme… À l’heure où notre monde en désordre cherche des certitudes faciles, le doute peut être salutaire s’il invite à une courageuse désobéissance, à une nouvelle sagesse et pourquoi pas, à mettre un peu de merveilleux dans le réel. C’est ce à quoi cette Alice revisitant celle de Lewis Carroll nous invite… Ne pas douter que la mise en scène de Caroline Leboutte du livret d’Edouard Signolet, sur une musique de Matteo Franceschini, sera féérique.
Direction musicale David Greilsammer. Orchestre national Avignon-Provence. Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon. Décors et costumes d’Aurélie Borremans. Lumières de Nicolas Olivier.
Dans le rôle d’Alice, Elise Chauvin ; la sœur d’Alice, Kate Combault ; la reine de cœur, Sarah Laulan ; le lapin blanc, Rémy Poulakis ; la duchesse, Jean-Baptiste Dumora
Une coproduction Teatro Regio di Parma – Fondazione Orchestra Haydn di Bolzano e Trent. Avec le soutien de FCL et de SACD.
Jean-Pierre Haddad
Opéra Grand Avignon, Place de l’Horloge, 84000 Avignon. Samedi 29 mars 2025 à 20h00 ; Dimanche 30 mars 2025 à 16h00. Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/alice-franceschini
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