Tout juste sorti de prison, Dje débarque en ville sans un sou en poche, sans point de chute, nulle part où loger, sans aucun soutien. Ses seuls atouts sont son charme naturel rassurant et sa facilité à aborder ceux ou celles sur qui son regard de prédateur s’est posé.

Il saisit chaque opportunité pour travailler, aimer, dormir et parfois céder à un irrésistible besoin de tuer.

Peter Dourountzis dont « Vaurien » est le premier long métrage a un parcours atypique. Après avoir étudié l’image à l’ESRA, abandonnant tout projet cinématographique, il s’engage dans les rangs du Samu social dont il devient un responsable. Il y restera quinze années, une période au cours de laquelle, il réalisera cependant deux courts métrages remarqués. Mais au cours de ses années d’activité au Samu social, il aura retenu son expérience auprès des marginaux, des SDF et autres laissés pour compte et se sera intéressé au sujet des serials-killers et notamment ceux qui sont restés dans les mémoires tel Guy Georges et au regard qu’il porte sur les femmes, son penchant pour une certaine misogynie.

Le sujet de film qu’il a le projet de réaliser allait être un mélange de tous ces sujets. Il lui faudra plus de dix ans pour composer le personnage de Dje séduisant et charmeur, tueur à ses heures mais qui ne soit pas l’archétype du tueur en série. Le véhicule narratif serait le rapport homme-femme non pas sur le plan de la relation amoureuse mais sur celui de la prédation.

L’écriture du personnage de Dje est d’une subtilité et d’une précision qui l’éloignent du cliché sans jamais perdre de vue l’aspect machiavélique. La question est sans cesse posée de savoir à quel moment Dje est lui même et à partir de quel moment il dérive et peut-être s’échappe à lui-même. Ses actes irrémédiables sont-il prémédités, correspondent-ils à une misogynie latente, à une revanche sur cette société à laquelle il ne s’est peut-être jamais réellement intégré ?

Il fallait à Peter Dourountzis beaucoup d’habileté dans la conception du personnage pour qu’il n’inspire pas l’empathie car ce qu’on pourrait retenir de Dje est son charme, ce sourire qu’on pourrait prendre pour un signe de gentillesse et générosité. Tout bascule dans l’épisode de la vie de Dje que relate le film quand son regard se pose sur celle qui sera sa prochaine victime. Mais rien à ce moment là ne dit qu’il ira jusqu’au crime. Au charme de Dje qui joue en sa faveur s’ajoutent les contradictions et rupture du personnage, capable pour subsister de travailler dur sur un chantier de construction ou de voler ou de se comporter en parasite. C’est lorsque, de façon inattendue, il succombe au charme d’une jeune femme à laquelle il s’attache et qui pourrait être la version féminine de lui-même, que son facteur chance va le lâcher et qu’il va retomber.

Et même dans ce dénouement attendu, le film conserve sa singularité et ne cède pas au cliché.

L’écriture de Peter Dourountzis tant pour composer un personnage que pour cibler les dialogues est magnifique de précision, de gravité, d’ambiguïté, d’humour aussi (le film n’en manque pas) mais que serait « Vaurien » sans la présence de Pierre Deladonchanp, ce comédien magnifique qui, depuis « l‘inconnu du lac » d’Alain Guiraudie offre dans chaque film où il apparaît autant d’ambiguïté que de limpidité charmeuse.

Le personnage apporte autant à Pierre Deladonchamp que Pierre Deladonchamp apporte à son personnage. Ils se confondent merveilleusement.

Ce film est un véritable régal…

Francis Dubois

« Vaurien » une film de Peter Dourountzis (France) sortie en salles le 9 juin 2021.


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