Saviez-vous qu’il existe un concours international du plus bel homme homo, une sorte de miss monde de la fierté gay ? Mister Gay World est un tel concours et il existe depuis 2009. Face négative : il contribue comme tous les autres concours dits de « beauté » à diffuser des normes esthétiques aliénantes puisque ses lauréats sont tous de jeunes hommes entre 18 et 26 ans, bien musclés… Pour le positif, il a vocation à promouvoir auprès des médias les droits des personnes LGBTQI+ et plus largement les « droits de l’homme » au sens des droits humains. De fait, certains candidats courageux ont été sanctionnés dans leurs pays (Éthiopie, Bulgarie, Chine, par ex.). Notons encore cette avancée progressiste qui, depuis 2021, a ouvert le concours aux transgenres, soit à toute personne « qui s’identifie comme homme ».

La participation au concours donne lieu à une certaine effervescence dans les communautés gays et l’on pourrait y voir certes quelque chose de frivole mais aussi de festif. Après tout, le phénomène peut être interprété comme un rituel sociologique d’intégration à un ordre civilisationnel mondialisé (individualiste et bourgeois) avec un enjeu d’acceptation et de reconnaissance qui le justifie pleinement.

Mais que se passe-t-il si l’on est un gay syrien réfugié en Turquie et que l’on veut participer au concours davantage pour sortir du pays que pour montrer son torse bombé et bronzé ? Qu’en est-il pour cette poignée d’hommes formant une petite communauté homo exilée à Istanbul et dont certains ont fui le risque de défenestration que DAESH représentait pour eux dans certaines zones durant la guerre ? Le concours de beauté devient alors une course à la liberté : obtenir un visa pour la finale se déroulant à Malte serait synonyme d’un départ salvateur et, peut-être, d’une odyssée vers l’Allemagne où le droit d’asile serait alors envisageable… Mais le sésame miraculeux est plus souvent une douche froide. Pourquoi les frontières se ferment-elles tant à la justice et à la liberté et si peu à l’argent ?

Pas difficile d’élire entre copains un Mr Gay Syria, ambiance détendue et joyeuse malgré la clandestinité. Les performances de chacun en vue d’une sélection n’ont pas grand-chose à voir avec les exhibitions d’un Monsieur Muscle et l’on assiste au contraire à des prestations culturelles, danses, poésies, seuls en scène chargés à la fois du sens de l’exil que vivent tous ces amis et de leur aspiration à une vie libre et sans dissimulation.

Dans le fond, la participation au concours est anecdotique dans les intentions de la cinéaste turque Ayse Toprak et son projet cinématographique devient ethnographique : quand Hussein qui a gagné la sélection, quitte le centre-ville où il est coiffeur pour rendre visite à ses parents et passer un moment avec sa fille, il commente : « je deviens la personne que veut voir ma famille ». L’enjeu esthétique devient éthique : « je voyais ma vie comme une maladie » mais aussi « le désespoir mène au courage ». Quand Hussein scrute le marc de café de sa tasse, est-ce encore pour y lire son avenir ou pour s’évader du présent ? C’est en effet tout l’intérêt du film que de nous faire partager le quotidien, les perceptions et les ressentis d’un petit groupe de réfugiés dont l’exil est double puisqu’ils sont forcés de fuir à la fois leur pays qui les réprime ou supprime et leurs familles qui les rejettent.

Il y a dans ce beau et surprenant film une signification qui déjoue la superficialité du concours : Mr Gay Syria n’est que le tremplin d’un Mr Free Life ! le souffle de ce visa maltais incertain passe sur les visages et les tourne vers une destination intérieure déjà-là mais qui, au dehors, reste interdite de séjour.

Ne nous y trompons pas, ce souffle est bien universel.

Jean-Pierre Haddad

Un visa pour la liberté : Mr Gay Syria , Ayse Toprak, documentaire (1h28). Sortie le 11 mai 2022.


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