Peut-il y avoir un soin de l’addiction, par exemple au sexe, qui ne soit pas prescriptif, normatif, coercitif, répressif, culpabilisateur ? Et puis d’abord le sexe peut-il être addictif ? La société marchande occidentale ne le promeut-elle pas comme une marchandise de loisir, voire de bien-être après que le romantisme en ait fait un rêve de fusion? 

Invitées durant trois semaines dans une maison au bord d’un lac pour prendre du recul par rapport à leur érotomanie ou nymphomanie, trois jeunes femmes volontaires se retrouvent à réinventer des rapports humains autres que ceux de la consommation aveugle des corps. L’endroit n’est pas un établissement de soin, juste une maison avec deux encadrants mais sans médicaments ni séances de psy. Rien qui, sans guérir, endommagerait plus gravement encore leur être-au-monde ?

Mais d’ailleurs, la jeune Geisha, la sombre Léonie et l’imprévisible Eugénie sont-elles vraiment malades ? Doivent-elles être guéries ou seulement prendre soin d’elles? Ne doivent-elles pas surtout avoir enfin l’occasion de vivre leur vie libérée du regard prédateur qui les vise et de l’assignation sociale d’être des proies complaisantes voire complices. Sait-on jusqu’où l’aliénation peut se loger?

En face, les consommateurs sexuels de leurs corps offerts ou vendus se sont-ils pas plus malades, plus gravement ou dangereusement malsains ? Et les accompagnants de l’expérience n’ont-ils pas aussi des nœuds intérieurs ?

Au fil des jours, les trois filles se redécouvrent à elles-mêmes et tissent des relations de confiance, d’une simple humanité. Paroles, écoute et joie de vivre. Elles accèdent à elles-mêmes par la médiation d’autrui et le ressenti d’une la variété d’affects qui les libèrent de leurs obsessions.

Denis Côté, cinéaste de la nouvelle fiction québécoise n’a pas peur de flirter avec le documentaire, au contraire ! Son art subtil du scenario et de la prise de vue, la finesse de sa direction d’acteur lui permet de nous offrir un pur moment de cinéma où la fiction tient lieu de réalité. La complexité du sujet est déliée et sa gravité sublimée par la simplicité discrètement travaillée de son art. Une vraie maitrise qui ne se montre pas mais produit de grands et beaux effets.

Dans Un été comme ça, comme dans la chanson de Nino Ferrer et bien qu’on ne soit pas dans le sud, « le temps dure longtemps ». Les deux heures dix-sept du film permettent à cette histoire de rencontre d’autrui et de soi-même de nous installer dans une temporalité vraie, dans un rythme de vie sauvée de la frénésie de la grande ville, de ses tentations, frustrations et abus.

Il faut saluer aussi les prestations des trois actrices, Larissa Corriveau, Aude Mathieu et Laure Giapiconni, qui par leur jeu sans complexe et d’un naturalisme abouti nous donnent accès à un univers à la fois éminemment féminin et parfaitement universel. Anne Ratte Pol incarne une soignante discrète, sa méthode douce semble devoir beaucoup à ses propres préoccupations amoureuses ! Enfin, Samir Guesmi dans le rôle de Sami, incarne un encadrant de sexe masculin qui se trouve donc particulièrement exposé. Mais le personnage fait montre d’une force tranquille que sa parole située et authentique déploie sans heurts. Une interprétation remarquable de cet acteur français de très grand talent. A la fin du film, le soin vient à soi, tout seul, par le simple jeu de rapports humains apaisés et dans le bonheur évident d’une amitié qui éclot au bord d’un lac.  

Un été comme ça est le théâtre en images d’une sorte d’expérience utopique, un laboratoire imaginaire et désirable de remédiation existentielle. On aimerait que toute la médecine des âmes soit comme ça.

Jean-Pierre Haddad

Un été comme ça de Denis Côté, (137 min – Canada, 2022). En compétition à la Berlinale 2022 – Sortie le 27 juillet.


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