
« Je n’ai pas besoin d’être tolérée, je ne suis pas du lactose ou du gluten ! » c’est ce que Mumy, l’héroïne transgenre du film hors genre de Daniel Burman répond à un rabbin qui refuse de lui faire faire sa bat-mitzvah en l’envoyant vers un confrère plus tolérant. Cette citation donne une petite idée de la charge subversive du film en même temps que de son humour qui n’est pas que juif ou de dérision mais tout simplement plein de fantaisie. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Nous sommes dans le quartier commerçant de Buenos Aires et la famille Singmann y tient une boutique de vêtements d’homme depuis plusieurs générations. On y vante la qualité de la laine de Mérinos, ce mouton international dont le parcours de développement va de l’Asie mineure aux Amériques en passant par l’Afrique du Nord, l’Espagne et la Provence. Un peu comme le cinéma de Burman qui aime tant passer les frontières géographiques ou autres. Ruben, le dernier des deux fils, doit bientôt subir ce rite de passage qu’est la bar-mitsvah pour les enfants juifs en âge de devenir des « hommes » – soit treize ans, ce qui est un peu jeune de nos jours ! Pour Ruben, le problème n’est pas l’âge mais le genre, il se voit plutôt en chanteuse de variété qu’en récitant de la Torah. À la rigueur, il s’y verrait bien mais en fille, pour une bat-mitzvah (bar pour les garçons et bat pour les filles mais là, ça compte pour du beurre dans le judaïsme). En fille et sous un nouveau nom de son cru, Mumy Jaïa en hommage à sa grand-mère ! En somme, Ruben veut passer de chanteur, singmann en allemand, à chanteuse ! Résultat, la « mitzvah » (bonne action) ne se fait pas, ni au masculin ni au féminin et le film fait un grand saut dans le futur. Ruben est devenu Mumy Singer, une chanteuse basée en Espagne mais au succès international et qui a intégré à son répertoire des chants hébreux ou yiddish mais sur des rythmes et danses discos. « Mumy » pour la grand-mère et « Singer » qui traduit l’allemand « singmann » en anglais tout en faisant un sacré clin d’œil à la fameuse marque de machines à coudre chère à la famille… Ruben devenu Mumy Singer est donc un personnage « trans » mais bien au-delà du simple genre ! Transition, transgression, translation, transatlantique, transnational et transparent car pleinement assumé ; tout en gardant une forte attache familiale et identitaire, ce qui fait de lui ou d’elle le premier ou la première judéotrans du cinéma argentin et peut-être mondial ! Un beau jour, Mumy Singer rentre en Argentine mais on ne racontera pas la suite de l’histoire qui, croyez-moi, est pleine d’inattendu, de surprises, de loufoqueries mais aussi de profondeur talmudique et kabbalistique ou tout simplement, philosophique et éthique. On navigue aussi entre psychanalyse lacanienne et émancipation LGBTQ+ !
L’enfant prodige du cinéma argentin signe-là un opus +++ ! Dans Le fils d’Élias (2004) Daniel Burman traitait de la quête de filiation avec un joyeux et subtil mélange de légèreté et de gravité. Cette fois il va plus loin en inversant les termes de la question : c’est aux parents de nouer le fil familial, de « retrouver » leur enfant là où il est de son désir d’être. Ruben-Mumy Jaïa met père et mère devant leur enfant tel qu’il ou elle est et c’est à eux faire famille – car faire un enfant ne suffit pas ! Au cœur de ces questions, il y a des douleurs parfois sourdes ou enfouies mais Burman les traite par une catharsis cinématographique qui fonctionne comme un passage dans le tambour d’une machine à laver. On en ressort secoué en rêvant de sécher tranquillement sur un fil à linge, histoire de digérer ce décrassage symbolique. Une mise en scène sacrément rythmée et une trame narrative qui semble directement dictée par l’Inconscient accommodé à la méthode freudienne de la libre association.
Tous les acteurs sont étonnants et leurs personnages habilement brossés. Une excellente prestation de Juan Minujin, acteur et réalisateur argentin qui joue le frère et le complice de Ruben puis de Mumy. Mais bien entendu, c’est l’actrice espagnole et trans Penelope Guerrero jouant Mumy Singer qui du haut de ses talons aiguilles, tient le haut du pavé. Son énergie et le pathétique du personnage forment un sacré cocktail. Quand son personnage perd sa voix, son jeu et son ton restent libres et tranchants. Mumy Singer chante en particulier une chanson hébraïque dont le texte provient du Psaume 133 du Cantique des Degrés de David : « Voici, oh ! qu’il est agréable, qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble ! » Un cantique cher à Jésus pour son l’éloge de l’attitude de progrès moral. Le film n’est peut-être pas sans élévation spirituelle, mais à la sauce Burman !
Le cinéaste signe un film fraternel et sororal qui réussit le tour de force d’injecter la question du genre dans un milieu religieux hyper-traditionaliste. Cela dit, en dépit des représentations idolâtres et andromorphiques dans la peinture ou dans les têtes, en dépit de son image de mâle super-dominant, Dieu, selon son concept ontologique d’« être suprême », n’a pas de genre. L’idée vraie de Dieu est asexuée et non genrée, a-ethnique, apolitique et même areligieuse… Daniel Burman, cinéaste des transitions identitaires et culturelles nous offre avec fantaisie une ciné-théologie de l’amour de toustes !
Transmitzvah de Daniel Burman (1h40min). En salle le 14 mai 2025
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