Si l’on s’aventurait à traduire le titre de ce film, cela pourrait donner quelque chose comme : « Sororité du sauna à fumée » ou pourquoi pas « Étuve sororale » ou encore « Chaudes vapeurs de sororité » à moins que ce ne soit plutôt « Hautes valeurs de sororité »… Ces variations font penser au fameux « Belle marquise… » de Monsieur Jourdain sauf qu’ici ce serait plutôt « Belle banquise… » car le début du film nous plonge dans un hiver glacial au cœur d’une forêt nordique non loin du cercle polaire. En fait, le véritable lieu du film est clos, réduit à une cabane dans les bois, un sauna à fumée traditionnel transformé en arche de Noé où des représentantes du genre féminin se sauveraient d’un monde trop en proie aux préjugés sexistes.
Dans ce hors-champ de la société, cinq femmes se rassemblent dans un sauna au feu de bois et échangent librement sur tous les sujets : la beauté artificielle et ses absurdes injonctions, le rapport aux mères gardiennes malgré elles de l’ordre phallocratique, le cancer du sein qui atteint physiquement la féminité mais ne pourra jamais « amputer l’âme » d’une femme, la sexualité entre femmes loin des violences sexistes des hommes, la maternité et le droit absolu à enfanter qui fait des femmes les petites sœurs de Dame Nature, etc. Paroles libérées dans la chaleur humide et l’intimité des corps nus. Sororité du sauna, sœurs de sueur et de cœur. Quelques scènes d’extérieur au fil des saisons : dans la neige, l’eau glacée ou l’herbe et nous plongeons de nouveau dans l’étuve au milieu d’une douce impudeur. Confiance et confidence loin des normes dans la singularité de chacune de ces femmes réunies dans cet ailleurs si concret. La caméra se fait discrète voire secrète, ne forçant jamais les visages à se montrer, se glissant entre les corps dénudés avec une sororité partagée.
Est-ce un documentaire ou un manifeste ? Le film débute par une sorte d’incantation : « Sois forte, forte ! » Il met aussi en scène des rituels de purification mais dans la simplicité de gestes sans cérémonial. Pourtant, dans ces vapeurs, impossible de ne pas voir quelque chose d’un esprit ou de plusieurs, esprits incarnés et transpirants, une mystique ténue mais suintante.
Pas de paroles extérieures à l’image mais à la fin, un texte pour dire plein de mercis dont celui-ci : « Merci cher feu, merci chères pierres. Toutes nos souffrances s’en vont dans l’eau froide. Cher sauna à fumée, lieu sacré. Nous vous remercions, nous vous remercions, nous vous remercions. »
« À toutes mes sœurs » dit la dédicace de Smoke Sauna Sisterhood…
La tradition du sauna à fumée dans le Sud-Est de l’Estonie est inscrite par l’UNESCO sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité. La réalisatrice Anna Hints parvient par son film à l’inscrire au matrimoine aussi bien matériel que spirituel du féminin pluriel.
Ne pas manquer.
Jean-Pierre Haddad
SMOKE SAUNA SISTERHOOD de Anna Hints, Estonie – France – Islande (1h31). Sortie nationale le 20 mars
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