Mine d’or de Perkoa, Burkina-Faso. Mine artisanale, or des pauvres. Tunnels sombres et profonds, on risque la mort pour quelques miettes d’or. Les mineurs de Perkoa sont dans un total dénuement, leur vie ne vaut guère plus que les quelques sacs de cailloux qu’ils remontent d’un boyau sous-terrain dans lequel ils cassent la roche au burin. Après un laborieux traitement des pierres et l’usage nocif du mercure pour séparer l’or, ils obtiendront peut-être quelques petites pépites qu’ils revendront deux ou trois mille francs CFA, soit entre trois ou quatre euros chacune.

Opio a 13 ans. Il travaille en surface à remonter à la corde les sacs et les hommes du puits. Il est payé en cailloux. Son père ne travaille pas mais souhaite qu’Opio aille à l’école pour apprendre un métier qui rapporterait au moins quelque chose à la famille nombreuse, son salaire actuel servant à peine à nourrir l’enfant. Devant le proviseur du collège professionnel, Opio dit vouloir apprendre la soudure mais la formation est payante. Le père est d’accord mais du haut de son autorité patriarcale, il imposera à Opio de payer lui-même en travaillant à la mine, les trente mille francs CFA de la formation qui dure trois années. L’avenir semble ouvert mais il y a toujours un « mais ». Le père est peut-être pauvre mais jusqu’à quel point, lui qui a cinq femmes ? Sans scrupule, il demande de l’aide au proviseur qui lui répond avec subtilité au moyen d’un proverbe Peulh : « C’est l’homme qui fait l’homme »… Très différent du bien connu : « Aide-moi, le ciel t’aidera » !

Faut-il comprendre par-là que l’humain est fait par les autres, par une sociabilité qui seule le façonne ? L’humanité serait-elle le fruit d’une assistance mutuelle entre humains ? On pense au fameux principe anti-sociodarwinien du théoricien russe du communisme libertaire, Pierre Kropotkine (1842-1921) : l’Entraide. Sauf que là, on ne voit arriver ni l’homme ni « le fils de l’Homme » susceptible d’aider Opio ! Son patron ? L’enfant va le trouver pour lui demander une « faveur » : descendre dans la mine comme les grands pour rapporter plus d’or et payer son école avec. « Si tu travailles dur je te ferais gagner la moitié » répond le jeune patron qui semble croire à sa « générosité » ; il ajoute « je ne peux pas payer ta scolarité, je propose une solution profitable pour nous deux. » Le film ne dit pas combien le patron-profiteur prélève sur les sacs remontés du « trou » mais telle est sa philosophie sociale, pleine de suffisance hypocrite et de manipulation.

Opio parviendra-t-il à accumuler la totalité de la somme ? Pourra-t-il aller à l’école longtemps tout en travaillant à la mine, au fond du trou ? La mine deviendra-t-elle un tremplin ou demeurera-t-elle une fatalité ? « Si tu es un homme »… tu peux t’en sortir semble aussi vouloir suggérer le titre du film mais encore faut-il qu’effectivement « l’homme fasse l’homme » et non pas que « l’homme exploite l’homme » !

Le cinéaste Simon Panay, très ancré au Burkina-Faso, signe un premier long métrage âpre et fort. La caméra de Panay ne lâche pas Opio, y compris lors de sa première et angoissante descente au fond de la mine grâce à un dispositif embarqué. Elle capte le labeur et la langueur de l’enfant privé d’adolescence, une saisie à fleur de peau, dans ses gestes économes et ses attitudes mutiques. Un film plus politique et plus problématique qu’il n’y paraît sous ses aspects naturalistes et documentaires. Oui, Opio existe vraiment, c’est un être de chair et d’os, de sueur et de poussière. Espérons que le succès souhaitable et hautement justifié du film dont il est la vedette à son corps défendant, lui serve à échapper à sa condition misérable et lui donne une vraie chance de se construire dans une humanité plus désirable… C’est en tous cas le projet déclaré du jeune cinéaste qui, une fois posée sa casquette de réalisateur, sait redevenir « un homme parmi les hommes » comme disait Sartre. Opio sera donc aidé car Simon Panay s’est souvenu du proverbe Peulh : un cinéaste peut bien faire un film mais « c’est homme qui fait l’homme. »

Jean-Pierre Haddad

Si tu es un homme, de Simon Panay, (France, 2022, 84 mn). Sortie nationale le 1er mars 2023


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