Pour quelle raison Renwei revient-il en compagnie de sa fiancée dans son village natif dont son oncle est le maire, et qui est quasiment déserté depuis qu’un glissement de terrain orchestré par les autorités lui a fait perdre son titre de Centre administratif du Comté ?
Est-ce pour que la grossesse de Shiliu se passe dans des conditions paisibles ou parce que son passé trouble l’a obligé à quitter la ville ?
Renwei est oisif et attentif à sa fiancée jusqu’au jour où son oncle lui propose de rejoindre l’équipe du planning familial chargé de contrôler les familles qui n’auraient pas respecté la règle instaurée de l’enfant unique.
Dès lors, le jeune homme change de comportement. Il laisse souvent Shiliu seule dans un appartement vétuste voué à la démolition pour boire et jouer aux cartes avec ses collègues.
Il se révèle comme un employé zélé n’hésitant pas à recourir à des méthodes cruelles pour débusquer chez elles des femmes enceintes d’un enfant de trop.
Au lendemain de la Fondation de la République Populaire de Chine par Mao Zedong, en 1949, les naissances furent encouragées afin de gagner en main d’œuvre et de participer à la reconstruction du pays. C’est ainsi que la population chinoise passa de 550 millions d’habitants en 1950 à 890 millions en 1973.
C’est à ce moment-là que vit le jour les premiers signes de la politique de contrôle des naissances faisant tomber en une décennie, le taux de naissances à 10% dans les villes et à 5% dans les campagnes.
En 1978, le planning familial est intégré à la nouvelle constitution. Et en 1979, Deng Xiaoping lance la politique de l’enfant unique qui a du mal à être respectée en milieu rural où la main d’œuvre familiale est indispensable à la survie.
C’est dans ce contexte de transgression de la règle et de multiplication des contrôles que se situe le film de Zhao Dayong.
« Shadow Days » raconte l’histoire d’un village des montagnes que les autorités ont sacrifié en le réduisant pour des raisons économiques à l’état d’une agglomération tombant en ruines afin que la vie y devienne à ce point impossible que les derniers habitants soient dans l’obligation de le quitter.
Cet aspect du film qui est le reflet d’une société chinoise déshumanisée rejoint le sujet du contrôle des naissances.
Le maire du village n’est pas totalement dénué d’humanité mais il n’a pas d’autre choix, dans son exercice du pouvoir, que d’atteindre les objectifs du planning familial fixé par ses supérieurs.
Quant à Renwei, il représente en se coulant dans le moule du respect de la loi, comme tous les autres employés du planning familial, la vraie majorité de la société contemporaine chinoise.
N’ayant reçu aucune forme d’orientation ou d’éducation morale, le pouvoir et l’argent sont les seules valeurs qu’il connait.
Les horreurs que Zhao Dayong montre dans son film (stérilisation des femmes, avortements forcés à des stades de grossesse avancés, violences sur les personnes) ne relèvent pas de la fiction.
« J’irai même jusqu’à dire que mon film est assez sobre dans la description de la réalité » affirme le metteur en scène.
Il faudra le cas d’une femme chinoise avortée à sept mois de grossesse pour être dans l’incapacité de payer les 4 900 € que l’administration lui réclame pour son second enfant « illégal » pour que le scandale éclate et qu’un assouplissement de la loi voie le jour. Le 29 octobre 2015, la décision de mettre fin à la politique de l’enfant unique est prise par le Comité Central du Parti Communiste chinois.
San n’être jamais didactique, le film de Zhao Dayong dénonce les dérives de déshumanisation d’une politique totalitaire.
Francis Dubois
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