Le 10 juin 1968, des étudiants de l’IDHEC filment la reprise du travail aux Usines Wonder de Saint-Ouen après plusieurs semaines de grève. Une jeune ouvrière résiste, elle crie qu’elle ne veut pas y retourner et son personnage marque à jamais avec ces huit minutes de cinéma.
1997, Hervé Le Roux décide de partir à la recherche de cette jeune fille de l’époque. Pour cela, il rencontre et recueille de nombreux témoignages d’anciens ouvriers, militants et syndicalistes.
Cette quête «amoureuse» et cinématographique quasi occasionnelle va faire ressurgir tout un pan d’histoire enfouie.
En 1966, grâce à la grande vogue des transistors, Wonder est une entreprise florissante et détient 37% du marché des piles.
Mais la situation se dégrade à la fin des années 60 et, en 1970 l’apparition des piles alcalines et l’arrivée en force de l’américain Duracell portent un coup fatal à Wonder.
En 1986, le site historique de Saint-Ouen ferme définitivement ses portes.
En 1997, l’image de l’ouvrière révoltée au moment de réintégrer l’usine après des semaines de grève, obsède à tel point Hervé Le Roux qu’il décide de partir à sa recherche.
Il lance les investigations et celles-ci prennent la tournure d’une enquête policière.
Ses rencontres avec Richard l’un des deux élèves cinéastes de l’IDHEC sont déterminantes pour concrétiser le projet.
La première motivation d’Hervé Le Roux était de «donner la parole» et vingt sept années plus tard, le tournage occasionnel de la reprise du travail chez Wonder et les huit minutes de film prennent la forme d’un document universel et le film envisagé devient une sorte de «droit de suite».
Un entretien avec un témoin de l’époque ouvre sur d’autres pistes. De nouveaux rendez-vous pour d’autres entretiens sont fixés. Ils en entraînent d’autres encore et le film se constitue au fur et à mesure des nouveaux témoignages.
Pour Hervé Le Roux, la règle du jeu était de ne pas rencontrer les personnes avant l’entretien afin de garder au témoignage toute sa spontanéité.
Des fragments du film de 1968 interviennent en contre-champ des visionnages pour illustrer les propos des interviewés.
Certaines images reviennent de façon quasi obsessionnelles comme celle de la jeune ouvrière qui dit qu’elle ne rentrera pas ou celle du chef du personnel qui appelle les ouvriers à rentrer dans l’usine comme on sifflerait la fin de la récréation.
Les personnages évoluent au fur et mesure qu’on avance dans le film et on ne voit plus de la même façon à sa seconde apparition «l’homme à la cravate» dès lors qu’il sera revenu sur son parcours personnel.
Le fil rouge du film d’Hervé Le Roux est bien sûr la jeune femme et l’enquête qui, tour à tour, s’en approche et s’en éloigne ; et le suspens a fonctionné autant au cours du tournage qu’il fonctionne au cours de la projection du film.
Pour Hervé Le Roux, «Reprise» est un film comme un autre qui n’appartient à la catégorie du documentaire que dans la mesure où les personnages qui l’habitent sont des personnes.
En 1968, Jacques Rivette disait à propos du film des étudiants en cinéma qu’il était le seul vraiment intéressant sur les événements de 68. Que c’était un document à la fois terrifiant et révolutionnaire.
Hervé Le Roux décédé il y a quelques mois était un grand cinéaste.
Son film est à voir absolument.
Francis Dubois
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