Murat Kurnaz, un jeune Turc vivant avec sa famille en Allemagne, part au Pakistan, endoctriné par un imam, pour y suivre des cours de religion. Il s’y fait arrêter en 2001, est vendu aux Américains qui l’enferment à Guantanamo sous l’inculpation de terrorisme. Convaincue qu’il s’est seulement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, sa mère, une simple femme au foyer turque, va remuer ciel et terre pour la libération de son fils. Sa détermination, son engagement, sa fraîcheur naïve, qui fait qu’elle n’hésite pas à frapper à toutes les portes, vont lui permettre d’intéresser à sa cause des gens qu’elle n’aurait jamais espéré rencontrer. Aidée par un grand avocat spécialiste de la défense des droits de l’homme, elle ira jusqu’à attaquer le puissant Président des États-Unis et après une très longue procédure judiciaire, qui ira jusqu’à la Cour Suprême, elle obtiendra en 2006 la libération de son fils.
Pour ce film qui a obtenu l’Ours d’Argent du scénario à la soixante-douzième Berlinade en 2021, la scénariste Leila Stieler s’est inspirée de l’histoire vraie de Murat, que celui-ci a raconté dans un livre Cinq ans de ma vie, un innocent à Guantanamo. Avec le réalisateur Andreas Dresen, lui-même juge constitutionnel dans le Brandebourg, ils ont choisi de raconter son histoire en se centrant sur le combat de sa mère, une femme forte, déterminée, résistant au découragement qui pourrait la gagner face à la situation kafkaïenne où se trouve son fils. Quand on lui annonce que son fils est à Guantanamo, elle ne sait même pas ce que c’est. Elle réussit à forcer la porte d’un grand avocat, Bernhard Docke. Ce qu’elle veut c’est la libération de son fils. Ce qu’il veut, c’est faire triompher le droit et sortir Murat de cette zone de non-droit qu’est Guantanamo.
Leur combat nous conduit des tribunaux allemands jusqu’aux États-Unis, à la séance de la Cour Suprême qui rendra la décision finale. Le film mélange les langues, on passe du turc à l’allemand et à l’anglais, ce qui lui donne beaucoup de vivacité et de vérité. Au passage on découvre le rôle des médias – négatifs quand ils cherchent le sensationnel, mais positifs quand ils servent de caisse de résonance au combat d’une mère – et les petits calculs politiques mesquins qui ont tant retardé la libération de Murat.
L’avocat, interprété par Alexander Scheer, apparaît aussi mesuré et réfléchi que Rabiye est puissante, impulsive et sensible. Tous deux sont pétris d’humanité et d’humour et leur combat les conduira à une vraie amitié. Elle couvre le cabinet de l’avocat de ses plats délicieux et trouve les mots qui convainquent des assemblées prestigieuses. Quand elle faiblira, c’est lui qui sera là pour la relancer. Le réalisateur a su trouver une formidable actrice germano-turque Meltem Kaptan, au tempérament aussi généreux que celui de son personnage. Elle a reçu l’Ours d’argent de la Berlinade pour son interprétation de Rabiye Kurnaz. Elle a l’audace des innocents. Face à un monde bien éloigné de sa vie de femme au foyer, elle se lance dans la bataille, n’hésitant pas à s’attaquer au Président des États-Unis avec un courage qui réussit à renverser toutes les barrières.
Un film humaniste et généreux où la volonté d’une femme au foyer turque arrive à faire des miracles.
Micheline Rousselet
Rabiye Kurnaz contre Georges W. Bush, Andreas Dresen, Allemagne, 119 minutes, Sortie le 21 décembre
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu