Le pré-générique annonce un conte. Mais s’il y conte de fée, ce n’est pas dans l’histoire que raconte le film, où il n’y a ni roi ni reine ni prince, mais plutôt dans le cheminement de l’aventure qu’a vécue Emilie Brisavoin depuis des heures de rushes tournées en vrac jusqu’à l’objet final qui s’est retrouvé, par quel miracle, sélectionné à Cannes dans la section ACID et qui à partir du 23 décembre va connaître une programmation dans de vraies salles, devant un public.

L’histoire commence ainsi : on a prêté un jour une caméra à Emilie Brisavoine et on l’a mise au défi de s’en servir. Elle a relevé le défi et pour cela, elle ne s’est pas lancée dans l’écriture d’un scénario

Elle a choisi de filmer son entourage, une famille atypique comportant un beau-père amateur de travestissement, une mère qui mange une choucroute avec un chapeau sur la tête, une demi-sœur qui a du bagout, un naturel et un humour qui se prêtent bien à la caméra et dont elle a fait le personnage principal.

Il y avait sans doute matière à faire un film avec de tels ingrédients mais il aurait fallu que les personnages viennent de quelque part, que des situations soient installées, qu’à défaut d’ossature, il y ait au moins un fil qui relie les moments entre eux.

Cinéma : Pauline s'arrache
Cinéma : Pauline s’arrache

« J’ai tout essayé  » dit Emilie Brisavoine dans le dossier de presse. « Comme je n’y connaissais rien aux caméras qu’on me prêtait, j’appuyais dessus au hasard et ça filmait ce que ça filmait » reconnaît-elle.

Elle a filmé avec une camera DV, puis la caméra « touriste » de son père, son Iphone, des caméras d’occasion sans se soucier jamais des formats, Pauline dans sa vie quotidienne : une séance de maquillage commentée, un concert entre potes, une sortie avec son mec ou avec son beau-père, une soirée à glander dans sa chambre, un repas de famille, une rupture amoureuse tapageuse et criarde, les promesses d’une nouvelle rencontre.

Il ne reste plus au spectateur à partir de ces différents moments, de démêler les fils et de situer à partir d’indices, qui est cette famille, son appartenance sociale, ses sources de revenus, la réalité de ce vernis artistique qu’elle revendique d’évidence et qu’il faut détecter dans un souci systématique d’originalité. L’appartement au décor chargé et de mauvais goût, le vocabulaire cru et souvent vulgaire qu’utilisent les personnages, la façon appliquée parfois non dépourvue d’un certain bon sens d’analyser une situation et de réfléchir sur l’existence.

Faut-il voir en eux les représentants d’un sous-prolétariat qui, dans un souci d’originalité tente d’accéder à un statut d’artiste intellectuel ?

Mais « Pauline s’arrache  » est-il du cinéma? Le vrai cinéma comme une œuvre de professionnels auquel le film n’appartient pas, est-il le seul à pouvoir prétendre être projeté sur un écran et à être proposé à un public ?

Si certains films fabriqués à l’arrache peuvent se justifier comme des œuvres de recherche et d’expérimentation, la balle est dans le public pour décider à quelle catégorie appartient celui qu’a réalisé (?) Emilie Brisavoine.

Francis Dubois


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