Après «  Mon voyage d’hiver  » (une déambulation berlinoise) et «  Leçons de ténèbres « (la Rome des années quatre-vingt) Vincent Dieutre avait le projet d’un troisième « film d’Europe ».

L’ère berlusconienne et son « château de mensonges » avaient terni pour le cinéaste la complicité qu’il avait toujours eue avec l’Italie.

Lorsqu’au cours d’un séjour en Sicile, il découvre Palerme, dès la vision de la ville à travers les vitres de l’avion, il sait déjà qu’il va renouer avec une Italie perdue.

Il avait, à cette occasion, emporté dans ses bagages le livre de Georges Didi-Huberman « Survivance des lucioles  » et la lecture de l’ouvrage allait l’accompagner pendant tout son séjour.

Cette lecture allait l’amener à la vision pessimiste qu’avait Pasolini de l’avenir du monde et de l’avènement d’un nouveau fascisme que personne ne verrait venir.

Le symbole d’un basculement redoutable était la disparition effective des lucioles dont l’absence des lueurs éphémères porteuses d’espoir annonçait l’arrivée de temps obscurs.

Palerme découverte conduit Vincent Dieutre au désir immédiat de transmettre en images-cinéma un enchantement retrouvé aidé par le « pessimisme organisé » de Didi-Huberman qui propose de refaire place à la beauté et à la joie.

Ce projet l’amène à des rencontres : celle du philosophe Pierandrea Ammato, de militants de Lampedusa ou des théâtres occupés ou celle qu’il a avec des êtres qu’il a aimés comme Gigi Malaroda, un amant universitaire qui s’exilait d’Italie pour fuir la catastrophe annoncée.

La grande révélation a été pour Vincent Dieutre, la beauté des marionnettes siciliennes, véritables œuvres d’art qu’on peut admirer dans les musées de Palerme et d’Aci Reale.

Ayant eu l’occasion de voir plusieurs représentation de pupi en Sicile et à Paris, il avait été frappé par les qualités déclamatoires des marionnettistes, les pupari, leur inventivité de bruiteurs et leur art du sous-entendu mordant.

Les pupi dont la figure héroïque est celle d’Orlando, deviennent alors dans le film de Vincent Dieutre, les témoins de la catastrophe et par le mouvement narratif du récit associé à la pensée de Didi-Huberman, de petits êtres lumineux, gueux ou chevaliers qui renvoient aux lucioles qui n’ont peut-être pas complètement disparu…

Cinema : Orlando ferito
Cinema : Orlando ferito

Vincent Dieutre est un magicien de l’image et son film constitué de séquences en apparence disparates, fonctionne à la façon d’un puzzle dont les pièces associées avec poésie et intelligence, débouchent sur un « objet cinématographique » fascinant de beauté.

Si Vincent Dieutre n’a pas son pareil pour photographier les villes, il sait ici donner aux visages qu’il filme, aux postures, aux personnages éphémères comme aux personnages récurrents une profondeur magique.

Il filme ici, avec infiniment de sensibilité et de force, les pupi en action, sous des lumières qui leur donnent vie.

On dira du cinéma de Vincent Dieutre, pour faire court, que c’est un cinéma personnel mais chacun de la dizaine de films qu’il a réalisés en vingt ans avec la même rigueur, le même talent, la même sensibilité est unique, une pièce de toute beauté de plus, à ajouter au puzzle d’une œuvre globale pure, profondément sincère et flamboyante.

Francis Dubois


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