Un acteur de film de superhéros en pleine gloire et vivant à Berlin part pour Londres où un casting important l’ attend. Il est beau, riche, sûr de lui, en pleine possession de ses moyens. Comme il a de l’avance il refuse le chauffeur que son agent lui a envoyé et préfère se rendre à l’aéroport en taxi non sans avoir bu un bon café dans son bar habituel du coin de la rue. Il y est suivi par un voisin inconnu. Une confrontation des deux personnages s’engage entre le comptoir et une table où l’acteur sirote son jus en relisant le texte de son audition. Assez vite l’ambiance tourne au saloon : deux bandits y règlent leur compte en cognant très fort sauf qu’aucun pistolet n’est dégainé et que l’un des deux est cueilli par surprise !
Par touches successives le voisin va d’abord effriter puis déconstruire totalement le personnage arrogant de l’acteur hollywoodien qui va se mettre à douter sérieusement de sa valeur artistique. Mais la mise à nu, ou à mort, ne s’arrête pas au domaine professionnel et le voisin transformé en ange satanique de la vérité en vient aux révélations sur la vie privée. Aucune fuite possible malgré les tentatives, aucune contre-attaque efficace, toute résistance est vouée à l’échec et au final le bar n’est plus qu’un champ de ruines. Si les deux hommes terminent épuisés, l’acteur, lui, est détruit.
Deux questions se posent alors. La première est interne au scénario : pourquoi le voisin agit-t-il ainsi ? Elle reçoit un élément de réponse non explicite mais écartant tout mobile de chantage ou d’argent. La seconde met en abîme le film et engage son sens global. Next door met en crise une certaine réalité sociale du cinéma, celle des « superproductions » industrielles. C’est un anti-héros et un grand acteur au sang froid qui s’y livre : Peter Kurth est impressionnant et redoutable dans son jeu modeste de tueur sans gage. S’improvisant agent, son personnage va jusqu’à conseiller à la star de s’investir à fond dans une proposition d’incarner Beethoven à l’écran. Il est vrai que devenir sourd aux sirènes d’un succès illusoire pourrait être salutaire ! Dans ce saloon berlinois, c’est aussi la fabrication sociale et médiatique d’acteurs aussi ectoplasmiques que les rôles que l’industrie capitaliste du cinéma leur impose qui est démystifiée. Il est remarquable que Daniel, le personnage de l’acteur, ne cesse de sortir des billets tout au long de sa descente aux enfers comme si ces oripeaux d’une vaine puissance pouvaient arrêter ou freiner sa chute ! Celui que tout le monde reconnaissait dans la rue sans le connaître, celui qui croyait beaucoup en lui alors qu’il ne faisait qu’adorer la vitrine commerciale qu’il était devenu ne se connait pas vraiment, ne sait plus rien de ses proches et finit même par ne plus être reconnu par les passants dans la rue dès lors qu’il y parait non plus sous le masque de ses rôles à succès mais sous son vrai visage, marqué il est vrai par les blessures narcissiques infligées par son voisin.
Faut-il s’étonner que le personnage d’acteur porte le même prénom que l’acteur du film qui est ici passé derrière la caméra pour la première fois ? Sans doute pas car Daniel Brühl à la carrière fulgurante depuis sa révélation loin d’Hollywood dans Goodbye Lenin (2003) ne connaît que trop bien le « système » ! Pour son premier film, il signe avec une double performance d’acteur et de réalisateur une œuvre aussi décapante que soignée, à la mise en scène remarquable. Ultime niveau de lecture possible, Next door suggère que les brèches de l’existence colmatées à la va-vite dans la course effrénée à la réussite peuvent s’ouvrir et devenir des failles béantes sous l’effet d’un facteur qui se tient là, dans l’ombre, derrière la porte d’à côté.
Jean-Pierre Haddad
Un film de Daniel Brühl, sorti en salles le 29/12/2021.
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