Tout commence dans le grand froid canadien. Froid glacial d’une tempête de neige au Québec veille de Noël. Froid silencieux d’un non-rapport mère-fille. Père absent mais un faux père Noël déguisé en vrai facteur livre un gros colis venant du sud. Provenance : Liban, destinataire : la mère. En son absence, la grand-mère invitée veut le refuser mais la fille l’accepte. Cadeau surprise empoisonné ou salvateur ? Le paquet déboule du passé de la mère sans qu’on sache trop comment mais c’est trop tard, une mémoire enfouie fait effraction. Boîte à souvenir qui plonge la mère dans une nostalgie douloureuse et pique la curiosité de la fille. La grand-mère avait prévenu « N’ouvre pas ce passé, ça pue. » Odeur de la guerre civile libanaise des années 80. Mais ce gros paquet a aussi l’odeur de la jeunesse de la mère, le parfum de son premier amour, le goût de sa correspondance avec Liza sa meilleure amie. Toute une tranche de vie, la part la plus savoureuse encore, malgré les trente ans écoulés

Les cahiers ne sont pas de simples pages noircies de mots. Ils contiennent des dessins et surtout des photos collées, montées, découpées, assemblées en dépliant, superposées, autant de visages et de lieux appelés à devenir personnages du film. Sidération de la fille qui découvre le passé maternel si longtemps tu, occulté, interdit de séjour sur le sol canadien.

Les images fixes de l’argentique vont bientôt s’animer par la technologie du smartphone de la fille… La mère photographiait sa jeunesse beyrouthine, la fille capture et met en mouvement les images fixes de cette mémoire arrivée dans une boîte. Emboîtement du scénario, les mini-films numériques de la fille vont s’incarner en vraies scènes de flash-back redonnant vie au passé. La boîte à mémoire, c’est aussi le boîtier, la chambre noire de l’appareil photo argentique qui ne laissant entrer qu’un fin rayon de lumière capture le présent pour en faire un passé légué à l’avenir. Traces de bromure d’argent appelées à devenir l’or d’une mémoire. Les auteurs du film ont travaillé avec les archives la réalisatrice Joana Hadjithomas qui a réellement eu une correspondance de jeunesse avec une amie vivant en France durant les années de guerre civile. Sur les photos c’est le vrai Khalil Joreigue jeune, devenu son compagnon et son coréalisateur qui apparaît sous les traits de son premier amour. D’autres photos ont été faites pour le film… Moments de vie en images et images fabriquées constituent les couches géologiques du film. Ce palimpseste d’images entre biographie et fiction nous touche et nous émeut, sans doute car nous-mêmes dans nos souvenirs nous mettons un peu d’imagination, de recréation du passé…

La comédienne jouant la mère jeune, Manal Issa, ressemble étrangement à celle jouant la fille, Paloma Vauthier. Est-ce un hasard ? Dans tous les cas, la ressemblance a un sens fictionnel puisque de la mère, jouée par la trop rare Rim Turki, à la fille une filiation secrète a travaillé : la pulsion scopique s’est transmise dans l’effacement même des images du passé et la passion de s’emparer de l’autre par le regard les rapproche. Le dégel arrivera et la mère racontera enfin à sa fille sa folle jeunesse sous les bombes rythmée par les tubes disco-rock de l’époque. Le souvenir partagé retisse le lien affectif entre elle mais aussi avec le pays. Le voyage à Beyrouth advient dans une complicité neuve et à toute épreuve. Les lieux ont changé, mais les gens restés vivants sont retrouvés, mêmes et autres.

A la fin, magie de la technologie, on assiste à un ballet numérique de levers et de couchers du soleil de Beyrouth. Images du temps qui défile, abolissant sans cesse le présent dans l’hier mais ouvrant sans cesse à d’autres lendemains…

Jean-Pierre Haddad

Un film de Khalil Joreige et Joana Hadjithomas Sortie en salles le 19/01/2022


Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu