Jules Durand, docker-charbonnier au port du Havre et syndicaliste modéré, est condamné à mort en novembre 1910 pour un crime qu’il n’a pas commis. «Le Dreyfus des ouvriers» sera innocenté par la cour de cassation sous la pression d’une campagne internationale de soutien en 1918. Libéré mais brisé par des années de prison et le poids de l’injustice, il finira ses jours dans un asile psychiatrique.
Pourquoi ne reste-t-il aujourd’hui aucune trace de cette affaire ? Pas plus pour ce qui concerne le procès, qu’à propos des années de prison ou de celles des séjours à l’asile de Jules Durand.
Quand un havrais lui a raconté l’histoire de Jules Durand en septembre 2011, Sylvestre Meinzer s’est interrogé sur le fait que cette affaire majeure du point de vue de l’injustice ait pu rester si méconnue.
Les archives sur ces temps reculés à propos du monde ouvrier sont rares. Si on exclut quelques cartes postales de la ville ancienne, le tableau de Raoul Dufy sur les charbonniers du Havre en 1901 et quelques mètres de pellicule montrant le départ des grands navires de la Compagnie Générale Transatlantique, on trouve peu de choses sur le sujet et de Jules Durand, il n’existe en tout et pour tout, que deux portraits photographiques datant d’avant et après sa condamnation.
Parallèlement à l’histoire de ce syndicaliste dont les actions et l’impact qu’il avait sur les ouvriers des docks dérangeaient en haut lieu et qui fut à cause de cela, victime d’une machination montée de toutes pièces par la Société elle-même, dans le seul but d’écarter un danger de revendications sociales, le film s’attache à la configuration de la ville, à la subite mutation qu’a connu la ville et sa périphérie qui ont, en très peu de temps, perdu toute identité ouvrière.
Mais la « mémoire étant le patrimoine des pauvres », c’est un film sur la mémoire, mais au pluriel, que Sylvesre Meinzer a édifié en souvenir de cet homme qui a été condamné à la guillotine au nom du peuple français suite à une machination patronale qui voulait faire cesser un mouvement de grève. Et triplement condamné puisqu’il l’a été en plus de la peine de mort, à la folie et à l’oubli.
Ce sont les milieux populaires qui ont toujours été pénalisés par l’évolution des techniques car comme le dit l’un des témoins du film Johann Fortier, secrétaire général des dockers CGT, alors qu’au temps de Jules Durand les ouvriers étaient confrontés à la mécanisation, aujourd’hui les emplois sont menacés par l’automatisation.
Si les faux témoins qui accusaient Durand du crime qu’il n’avait pas commis sont revenus sur leurs déclarations, révélant qu’ils avaient été soudoyés pour cela, personne jamais n’a été appréhendé par la justice et les événements de l’époque, la guerre qui fut déclarée et qui secoua le pays, ont facilité l’oubli de cette affaire.
Aujourd’hui pourtant, on se souvient et c’est ainsi qu’une classe de lycée a entrepris des recherches et les élèves ont reconstitué le déroulement du procès de Jules Durand.
Le film de Sylvestre Meinzer rend justice un siècle plus tard et restitue à l’histoire de cet homme, une dimension sinon héroïque, du moins exemplaire. Et son propos, sans jamais tomber dans le pathos ou la sensiblerie, dégage une réelle et légitime émotion.
A voir et à débattre…
Francis Dubois
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