Le nouveau film d’Abdellatif Kechiche s’ouvre sur une scène d’amour brûlante au cours de laquelle Ophélie et Tony, deux vieux complices de l’amour, livrent leur corps l’un à l’autre.
Parce que, tout juste revenu à Sète dans sa famille pour les vacances, Amin a prévu de rendre visite à Ophélie, son amie depuis l’enfance, il assiste à travers les lames des persiennes aux ébats du couple.
Devinant qu’Amin a été le témoin de la scène d’amour, elle fait appel à leur vieille complicité pour garder le silence car Ophélie est fiancée et proche des épousailles avec un garçon du pays parti en mission à l’étranger dont elle attendra, ou pas, le retour.
Entraîné par Tony, incorrigible séducteur papillonnant de l’une à l’autre, Amin fait la connaissance de deux jeunes touristes, Céline et Charlotte, avec qui ils s’engagent dans une aventure dont on présume qu’elle se finira au lit. Mais si l’une des deux jeunes filles ne rechigne pas à flirter avec un troisième larron, l’autre croit ferme au baratin amoureux de Tony qui, dès le lendemain, aura oublié qu’il lui a promis monts et merveille et l’amour pour toujours.
Ces rencontres dans le quartier ou sur les plages se passent sous l’œil vigilent des mères, de ces femmes qui en sont revenues, ont tiré un trait sur leur passé mais qui débordent d’amour et de cette générosité toute méridionale.
Abdellatif Kechiche est un cinéaste éblouissant, précis comme aucun autre, magnifique filmeur du mouvement ou du regard.
Et si dans son film qui pourrait se résumer à une chronique de vacances au bord de la mer, il aligne les personnages stéréotypés, le séducteur irrésistible sans scrupules, la jeune fille au visage d’ange mais qui cache un tempérament d’amoureuse, la jeune fille au cœur pur victime toute désignée du séducteur, les mères protectrices, les hommes sur le retour qui brûlent les dernières cartouches de leur charme, aucun, devant la caméra magique d’Abdellatif Kechiche, ne rentre dans la « vignette »attendue.
La vie que le réalisateur insuffle à ses personnages, une direction d’acteur époustouflante, des dialogues taillés dans le plus banal du quotidien mais si naturels qu’ils paraissent improvisés, une caméra virtuose font de cette chronique qui aurait pu sombrer dans la platitude, un thriller sentimental passionnant.
Et au centre du récit, il y a le personnage d’Amin, à la fois acteur et témoin ,interprété par Smaïn Boumedine avec une telle intensité retenue, une telle qualité de regard, une telle force contenue qu’il renvoie au Frédéric Moreau de « L’éducation sentimentale » ou au Lucien des « Illusions perdues ».
En dépouillant son film de tout arrière plan social ou politique, en faisant de Sète une banlieue de Tunis, en ramenant le Sud à ses caractéristiques générales, en évitant tous les sentiers battus de son sujet, il s’évade d’un monde sur lequel pèse une chape de plomb, d’un siècle qui a du mal à finir et du suivant qui a du mal à commencer pour trouver, dans un tourbillon de cinéma, une sorte d’allégresse presque suspecte, d’enthousiasme débordant d’appétit de vie.
Il donne aux corps, aux mouvements, au désir, une totale liberté.
En opérant un miracle de cinéma, Abdellatif Kechiche donne à voir avec « Mektoub » une espèce de miracle de la vie.
Et si, en fin de compte, les bons sentiments l’emportent sur la débauche, le film est le contraire d’un film moralisateur. Il reste ce qu’il est depuis sa première image, un hymne au désir.
C’est comme s’il avait su capter en chacun de ses personnages et en chacun des interprètes, le plus fort et le plus fragile de leur grâce.
Trois heures qu’on ne voit pas filer et un monument de cinéma à ne laisser passer sous aucun prétexte!
Francis Dubois
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