Wu est passionné de photographie. Il se voit offrir un appareil performant par son père pour perfectionner sa technique mais les papiers de tirage de mauvaise qualité sont encore ceux qui provenaient de l’ancienne Allemagne de l’Est.
Thang vit de petits trafics et Van qui se produit dans les cabarets récemment ouverts, rêve de chorégraphies élaborées et d’une vraie carrière de danseuse.
Le film a pour cadre la ville de Saïgon au début des années 2000, quelques années après que le président américain Bill Clinton ait levé l’embargo contre le Vietnam.
Le pays qui a été longtemps tenu à l’écart du monde découvre les nombreuses opportunités qui s’offrent à lui.
Tout le monde veut en profiter et devenir riche sans craindre la prison comme c’était le cas par le passé. Des étrangers, taïwanais, japonais, coréens sont venus ouvrir de nouvelles usines, créer des entreprises qui recrutent une main d’œuvre vietnamienne venue de la campagne.
Dans « Mékong stories », ils sont un groupe de jeunes gens dilettantes, oisifs, confrontés aux tentations qu’offre une société de consommation en train de naître.
Ils sont attirés par les bars et les discothèques qui commencent à ouvrir. Ils consomment beaucoup d’alcool et découvrent les phénomènes de mode.
La soif de réussir et de gagner de l’argent les amène à brûler les étapes et à se mettre en porte à faux par rapport à ceux qui vont tirer profit de leur naïveté.
Le petit groupe va devoir s’exiler pendant un temps pour fuir de redoutables créanciers et trouver refuge au cœur de la forêt de mangroves de Gan Gio, un vrai labyrinthe végétal dont les soldats vietminh avaient fait leur cachette pendant la guerre.
Même si les personnages vivent dans la réalité d’un quotidien hésitant, si les ambiances du récit sont en prise avec la réalité, le film de Phan Dang Di ne suit jamais un tracé linéaire.
Des ruptures dans le déroulement des faits, des digressions, des changements d’ambiance laissent sans cesse en plan des situations qu’on retrouve plus tard en décalage, et qui laissent une impression de constant tâtonnement narratif.
Les personnages charismatiques du début peuvent se fragiliser et du rôle de chef, passer à celui de victime. Mais tous, au fur et à mesure de l’avancée du récit, grandissent, évoluent, souffrent et aiment ensemble, à l’intérieur du groupe soudé qu’ils constituent.
Des figures symboliques renvoient à la nature et aux éléments.
Dans le film précédent de Phan Dang Di, « Bi, n’aie pas peur » il s’agissait de la glace, dans « Mékong stories » l’élément récurrent est la boue.
Or ici, l’utilisation de la boue ne correspond pas à un symbole mais elle est en prise avec la vie vietnamienne puisque la culture du riz se fait dans les marécages.
Dans le film, la boue peut aussi bien être utilisée comme méthode de cuisson du poisson que servir aux soins du corps.
Elle peut devenir un élément dans lequel les personnages se vautrent pour renforcer le plaisir de l’accouplement, un danger, prendre un caractère ludique, être liée à la fécondité et à la procréation.
Comme souvent, dans les films asiatiques, les codes manquent pour interpréter certaines séquences et « Mékong stories » laisse parfois le spectateur occidental que nous sommes « sur le bord de la route ».
Mais qu’importe si la vision du film demande une plus grande concentration, un effort d’imagination pour combler les moments qui échappent à notre capacité de compréhension.
Le cinéma de Phan Dang Di déborde de vitalité, d’inventivité et les décors magnifiques nous transportent dans des endroits tellement beaux ! Et cela sans céder à la moindre recherche d’esthétisme.
Francis Dubois
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu