En 1774, à la veille de la Révolution Française , madame de Dumeval, le Duc de Wand et le Comte de Tésis, aristocrates libertins expulsés de la Cour de Louis XVI, se retrouvent à la tombée de la nuit dans une clairière pour assouvir librement leurs désirs sexuels et partager leurs fantasmes.
Leur mission, car ils en ont une, est d’exporter en Allemagne le libertinage, philosophie des Lumières fondée sur le refus de l’autorité et de la morale.
Présenté à Cannes, en sélection officielle dans la section « Un certain regard » le film a reçu un accueil contrasté, certains n’y voyant qu’une suite de scènes pornographiques, choquantes, d’un esthétisme approximatif, d’autres au contraire une œuvre audacieuse, hors filtre de toute censure, riche et brillante.
Après « Histoire de ma mort », après « La mort de Louis XIV », Albert Serra réalise un troisième film historique et pour « Liberté »,il a choisi le XVIIIème siècle, peut-être pour jeter un regard plus distant sur le mal être que nous vivons actuellement sur la sexualité, et comme le moyen, en passant à travers les siècles d’aboutir au « trash » contemporain.
« Liberté » est un film en costumes mais c’est un film sur certains lieux existants aujourd’hui, plus ou moins confidentiels, où on trouve le même cruising érotique, où il n’y a aucun nivellement par la hiérarchie, il n’y a plus de beaux ou de moches, homme ou femme, riche ou pauvre, maître et serviteur, où tout est interchangeable, sans aucune considération de vanité.
Le film se déroule dans une sorte de non lieu, non situé géographiquement où les protagonistes, pour contenir l’égarement où ils sont, s’accrochent à un idéal sans savoir dire s’il faut qu’ils aillent jusqu’à la mort dans le plaisir ou s’ils doivent cesser et se repentir….
Au départ du projet cinématographique, il y a la pièce écrite par Albert Serra et créée au printemps 2018 à la Wolksbübne à Berlin. Le film qui en est inspiré dont les séquences se déroulent dans un lieu unique et le temps d’une nuit, a gardé un côté théâtral.
Même si le film renvoie à une littérature libertine, l’essentiel des textes et dialogues sont d’Albert Serra en dehors de quelques citations et du discours qui ouvre le film emprunté aux « Mémoires de Casanova » de Michel Foucault qui repose sur l’idée de la cruauté arbitraire, extrême du pouvoir, donc de l’État.
Le film, par son travail sur l’ombre et sur le hors-champ installe un manque et une frustration salutaires qui laissent au spectateur une grande place pour inventer des images et comme l’avait écrit Sade installer des fantasmes qu’il ne reste plus qu’à réaliser.
Parfois ce sont les spectateurs qui sont des voyeurs, parfois les protagonistes du film qui nous regardent et nous interpellent.
Le jeu des déplacements des personnages en quête de rencontres et de contacts, très chorégraphique, fait parfois penser, la lumière en moins, à ceux de « L’inconnu du lac » d’Alain Guiraudie.
Un film fascinant.
F rancis Dubois
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