Dans le château où elle vit avec ses parents, entourée de domestiques à son service, Sophie se comporte en petite fille fantasque et capricieuse.
Tentée par l’interdit, elle ne cesse d’accumuler les bêtises qu’elle commet seule ou avec la complicité de son cousin Paul.
Lorsque ses parents décident d’émigrer en Amérique, Sophie qui ne partage pas les inquiétudes de sa mère mélancolique, est folle de joie.
Pourtant le malheur va s’abattre sur la famille. La mère périt dans le naufrage du bateau et le père, vite consolé, épouse une autre femme.
C’est en compagnie de la redoutable madame Féchini que Sophie réapparaît un an plus tard au château où la mégère a décidé de mettre bon ordre.
Heureusement, Sophie qui aura goûté au martinet plus souvent qu’à son tour, va être secourue par Madame de Fleurville et ses petites filles modèles.
En adaptant et associant pour son film deux contes de la Comtesse de Ségur, « Les malheurs de Sophie » et « Les petites filles modèles » Christophe Honoré et Gilles Taurand, son co-scénariste, donnent au personnage de l’enfant de cinq ans, toute sa complexité.
Sophie, dont on a comme lecteur un souvenir lointain et erroné, n’est pas seulement une fillette gâtée, capricieuse, amateur de bêtises et de cruautés mais un petit être courageux, épris de liberté qui, comme malgré elle, se montre destructrice envers ce qu’elle aime.
Qu’il s’agisse de la mise en pièces de la poupée qu’elle chérit comme un cadeau venu de son père, de la capture d’un écureuil qui finira par périr dans sa fuite ou du découpage gratuit des trois poissons rouges du bocal, ces actes à répétition ne se feront pas sans un voile de mélancolie et une méchanceté qui la rassure sur le fait qu’elle n’est pas seule au monde.
Car si Sophie oppose une vitalité de tous les diables à la morosité d’une mère plaintive, c’est peut-être pour partir à la recherche de la certitude qu’elle est aimée d’elle.
Lorsque Sophie revient au château après le séjour américain et la disparition de sa mère, elle est flanquée de la redoutable madame Fechini qui, au-delà du fait qu’elle pense que la seule méthode d’éducation tient dans la sanction et l’usage du martinet, apparaît comme un être négatif, aigri, frustré et profondément méchant.
Christophe Honoré respecte à la lettre les récits de la Comtesse de Ségur, l’élégance et la précision de l’époque et ses costumes, le raffinement des intérieurs et les ambiances d’une maison de maître, la hiérarchie des domestiques. Il ne prive pas son film de la beauté d’une nature luxuriante.
Il inclut cependant à son film, fidèle au milieu du XIXème siècle napoléonien, deux ou trois clins d’œil à une contemporanéité : les animaux (écureuil, hérissons…) interviennent comme des personnages d’animation. La tempête qui sévit pendant la traversée de l’océan est contenue dans les limites d’un tableau représentant une marine écumante.
Son film a la vitalité réjouissante et la mystérieuse cruauté de l’enfance et les personnages sont d’autant plus vivants, naturels et spontanés qu’il a tenu à travailler avec des fillettes qui n’avaient pas encore atteint l’âge de l’école élémentaires (l’âge de « raison ») et qui, n’ayant pas encore accès à la lecture ont appris leurs textes selon des séances de répétitions orales et un travail de mémorisation par étapes étalées sur plusieurs mois.
Pour son premier film pour enfants, Christophe Honoré qui a publié de nombreux ouvrages pour jeunes lecteurs réalise une œuvre élégante, exigeante qui risque d’en renvoyer plus d’un, à la (re) lecture des écrits de la Comtesse de Ségur.
Francis Dubois
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